« Entre, entre, entreeeee! » J’affichais mon plus beau sourire à Raphaëlle qui venait tout juste de se dévoiler derrière la porte de l’appartement, radieuse comme d’hab. Fallait dire qu’après avoir passé deux jours cloîtrée derrière l’écran de mon ordinateur, à hocher de la tête à chaque fois que Jaime me demandait mon avis sur un truc ou un autre, à sortir Muffin à des heures impossibles parce que j’oubliais tout le temps, à sourire de toutes mes dents à Ash lorsqu’elle me demandait si j’allais bien, ou du moins, si je voulais pas prendre une pause, juste une, toute petite à travers mes tas d’articles à rédiger, j’avais osé arrêter. J’avais pris le droit de fermer mon ordinateur rien qu’une seule soirée, au risque d'avoir tout le retard du monde dans mon guide de Noël à envoyer à mon éditeur en début de semaine suivante. Un guide de Noël quand même, y’avait pire comme boulot. Pendant un mois complet, on m’avait posté colis par dessus colis, on m’avait bombardé de produits de beauté divers à tester, à critiquer, à ajouter à mes listes, à proposer aux lectrices de mon blogue, à assembler pour en faire la référence cadeau pour toutes celles qui voudraient se sentir belles sous le gui. J’avais une pile de boîtes remplies à rebord, des placards dans la salle de bain qui débordaient des flacons de toutes les couleurs et des tubes de crèmes, de fard, de mascara, de poudre partout sur mon bureau et même jusqu’au sol. Arf. Mais bon, voilà. J’en avais assez de sentir le gingembre, la cannelle, la vanille, la poudre d’étoiles, la neige givrée, nah. Deklan avait beau être curieux de savoir à chaque fois qu’il passait le nez dans l’appart le parfum que je porterais ce jour-là, comme un défi à chaque fois, c’en était assez. Je ne pouvais pas en prendre plus. Et même si Ash avait été une amour en testant deux shampoings et quatre savons, et même si Jaime avait fait tout ce qu’il avait pu pour se prêter au jeu du masque pour le visage au cacao ou même celui à la tarte aux pommes, là je pouvais plus. J’avais épuisé mes ressources, j’avais passé toutes les crèmes possible et inimaginables, j’avais recouvert chaque centimètre de mon corps de produits et là, là, là, j’avais besoin de renfort.

« Fais comme chez toi! » que j’ajoutai, soulagée comme personne, lui pointant le chemin, l’invitant presque un peu trop enthousiaste à me sortir de mon calvaire aux mille et unes odeurs. « Si tu savais à quel point tu me sauves la vie. » j’avais repris un brin de constance, lissant mon t-shirt, repassant devant le miroir pour constater que malgré mon isolement j’avais encore un minimum de contenu. Bon, maintenant, l’état de la situation, les raisons qui m’ont poussé à lui demander son aide et surtout, le plan de la soirée. Je la laisse passer devant moi, constatant déjà les trois stations que j’avais disposées au salon. À gauche, sur la table basse, on avait droit à tout ce qui était de près ou de loin potable. Des produits dont j’avais déjà parlés, des coups de cœur que j’aimais pas mal tous pour les avoir utilisés auparavant pour la plupart, ou pour connaître la marque par cœur. Sur le canapé, au milieu de la pièce, se retrouvait tout ce qui n’avait pas encore été testé. Ce dont mes colocs n’avaient pas voulu, ce que je n’avais pas encore pu glisser à mon agenda, ce qui rendait ma panique de voir le deadline approcher de plus en plus vite. Le sofa était couvert, trop presque, et m’arracha un soupir lorsque mes prunelles se déposèrent sur l’étalage. Non, ça irait, Raph était là, on passerait à travers. Puis finalement le dernier arrêt, à droite, l’éventail plus petit et moins imposant regroupant les produits qui ne m’allaient pas. Teintures pour cheveux, huiles et lotions pour hommes, nettoyants de visage pour peau adaptée… non, y’avait rien dans tout ça qui me faisait envie. Mais YOLO, si Raphaëlle n’en avait pas plus envie, je passerais donner le tout au comptoir pour défavorisés au coin de la rue. Après avoir ri de certains des trucs qui, ma foi, si on avait pris le temps de valider de l’autre côté on ne m’aurait jamais été envoyés. Qu’est-ce que j’allais faire avec un fond de teint nuance « Safari Afro-américain » quoi? Je profitai des quelques secondes de silence que j’imposai à mon amie pour passer en cuisine chercher le plus important. On ouvre le frigo par ci, on sort les plus belles verreries du placard, on jette même un coup d’œil vif aux quelques bouchées que j’avais improvisées dans un élan de besoin de distraction, quand j’avais réalisé l’ampleur de ce que j’allais lui demander et puis voilà quoi, retour au salon et à ma nouvelle héroïne. En main, j’avais notre dû. Notre prix, ce qui allait nous garder bien sérieuses, bien aux aguets, bien… « Vin blanc pour commencer et ensuite on passe au rouge? »

Enjouée, je disposai la première bouteille au sol entre nous deux, après avoir servi deux coupes et lui en avoir tendu une. « Je te fais le topo : j’ai tout ça à tester d’ici lundi. » Je pointai l’immensité de produits qui s’étalaient sur le canapé. « On peut y aller de la façon douce ou la façon dure. » J’inspire, je prends même une gorgée parce que je suis du genre qui n’attend pas une fois que le vin est bien frais et surtout, bien servi. « Doux : on passe la soirée à tester seulement ce qui nous fait envie, je prends des notes, tu me dis tes impressions sur tout et quand on a fini, je t’offre le plus dégoulinant des grilled cheese en guise de remerciement. » Autre gorgée, et coup d’œil à Jaime qui passe en coup de vent dans le salon en prétextant qu’il a un truc à régler asap à la radio avant de nous saluer d’une révérence anglaise additionnée de notre poignée de main secrète. Je rigole, un peu parce qu’au final tout ça me dépasse, avant de reporter mon attention sur Raphaëlle et notre choix. « Ou dure : on passe la soirée à tout, tout, tout tester, on aura besoin de 15 minutes par produit... j’ai déjà calculé. D’ici demain matin 9h on devrait avoir fait le tour complet. Et quand on a fini, je t’offre mon âme en guise de remerciement. » J’hoche la tête, déterminée, me demandant si Raph réalise l’ampleur de la chose. Parce que mine de rien, le guide cadeau, il sera publié dans l’un de mes magazines favoris et… et… et… « Damn. J’ignore à quel moment dans ma vie je suis devenue aussi superficielle! » C’est dit à la blague, ouais, mais quand même. Elle est passée où la Isla qui grimpait dans les arbres avec Leo? Qui jouait au football dans la boue avec Deklan et Ashleigh? Elle est à quelque part, j’y crois hen. Entre ses 5 rouges à lèvres à paillettes et ses 3 ombres à paupières ébène.