EVERY BREATH YOU TAKE

De : Dexter Edward   À : Lilly Monroe
Objet : Lilly,
Lilly,
Tu as du sûrement le lire dans la presse mais j'ai emménagé il y a un peu plus d'un mois à Los Angeles. J'aurais dû te prévenir avant mais j'ai été débordé, j'ai du déménager mon staff à l'antenne de Californie, c'est le rush et avec la période estivale qui va débuter, tout doit être en place ce mois-ci dernier délai. J'espère que tu vas bien, je sais également que ça fait un bout de temps que je ne t'ai pas écris et je m'en excuse, je suis submergé par le travail. Comme tu as endossé les chèques, je suppose qu'il n'y a rien à signaler. Ça va te sembler curieux après toutes ses années d'absence mais j'aimerai beaucoup te revoir, il faudrait que l'on parle toi et moi. Peux tu trouver un moyen de garder le petit ce samedi ? Si tu acceptes, j'aimerais te rencontrer à la Playa Del Rey à 14 heures. Tiens moi au courant.
- Dexter  

Je n'ai pas revu Lilly depuis plus de sept ans. Je n'étais même pas présent à l'accouchement. Je l'ai accompagné aux premières échographies, comme tout père concerné puis j'ai brillé par mon absence. Au début, on s'écrivait beaucoup d'emails, on s'appelait pas mal puis, silence radio. Je prétextais le travail, des heures impossibles et des incompatibilités d'emploi du temps. J'ai tout de même assuré, financièrement - pas que Lilly en eut réellement besoin, elle avait largement de quoi le faire, plutôt par acquis de conscience, parce que ce rejeton, c'était le mien finalement, un être de chair en gestation dans le corps d'un autre qui avait compté. Pour être franc, j'ignore si j'ai vraiment aimé Lilly, pour autant, je ne lui ai jamais dit. On a jamais été ensemble même si pour tout le monde, c'était le cas à l'époque. Notre liaison a tout de même duré plusieurs années et ça ne s'efface pas comme ça, ça ne s'efface même jamais, même à coup de karcher. Je n'étais pas vraiment avec elle mais je ne l'ai jamais trompée et je n'ai pas eu trente-six mille liaisons depuis d'ailleurs. Elle me plaisait, je l'admirais, elle me passionnait mais l'engagement et moi c'était comme le soleil et la pluie, rien qui ne puisse cohabiter bien longtemps. Et puis, j'ai toujours eu la trouille qu'elle découvre qui j'étais et d'où je venais. Aurait-elle autant lutté pour me conquérir si elle avait su que j'avais grandi dans un ranch ? Au milieu d’arriérés et d'animaux de ferme ? Mon frère le lui avait-il dit ?
Alexander... il m'a avoué fréquenter Lilly depuis quelques années, en tant qu'ami, avait-il précisé. Je ne lui ai plus adressé la parole pendant des mois. De quoi se mêlait-il ? Voulait-il ruiner les derniers souvenirs qu'elle avait de moi ? S'approprier mon enfant et mon ex pseudo compagne ? Aimait-il autant picorer les restes ? Voulait-il être moi ? Alexander et moi n'étions pas franchement proches. Lui et moi n'avions aucun atouts communs, rien à partager. Il était la fierté de mon père et moi le jeune naïf en quête de gloire. Et puis, on ne se ressemblait en rien, comme j'aimais le croire. Je me demandais si Lilly l'appréciait, tout ce qu'elle me donnait comme détails c'était « ton frère est passé hier soir... », « j'ai vu ton frère l'autre jour », rien de plus. Peut-être n'étaient-ils pas si proches que je le croyais. Quoi qu'il en soit, je n'approuvais pas cette relation bien que je n'eus aucun droit de la juger.
Bref, après avoir convaincu Lilly de me laisser assurer les frais liés à l'éducation et la santé de l'enfant - ce qui était loin d'être facile, elle, si indépendante -, je me suis contenté de quelques nouvelles par ci, par là. Au début, elle m'envoyait quelques photographies, puis plus rien. Il faut dire que je ne répondais pas vraiment à ses emails. Nos contacts se sont espacés - il faut dire que je ne demandais pas vraiment de nouvelles du bébé, ça commençait par une fois par mois puis tous les six mois... parfois j'envoyais un email (rarement) pour lui donner de mes nouvelles, enfin de la société, car de moi, il n'y avait rien à dire. J'ignorais si elle lisait la presse et si elle la croyait, rumeurs, potins, tout ce que la presse à scandale s'arrachait depuis que j'étais devenu une personnalité publique, un homme du gratin, quelqu'un que l'on s'arrache aux grands événements... peut-être avait-elle vu la couverture de Vanity Fair pour laquelle j'avais posé - Victoria l'avait vue mais c'est une comparaison hasardeuse.

Retrouver Lilly n'était peut-être pas une bonne idée mais elle avait accepté, pourquoi, pour qui, je n'en avais aucune idée. A mesure que je l'attendais sur la jetée, caché derrière d'énormes lunettes de soleil, affublé d'un costume hors de prix pas très approprié pour l'environnement, les raisons qui m'avaient poussé à l'inviter devenaient floues jusqu'à m'en faire regretter l'idée. Lilly était bien la seule qui parvenait à me déstabiliser.
Je m'adossais à la rembarde de sécurité, me demandant comment se passeraient nos retrouvailles.

Je n'avais qu'une envie, à mesure que ma poitrine se serrait à l'idée de la revoir, retourner au bureau; me cacher derrière d'immenses dossiers, bloquer l'accès de mes quartiers et rester ainsi, terré jusqu'à la fin de la guerre.
Faire le mort, ça n'était pas tout à fait ma philosophie mais aux grands maux les grands moyens. Qu'aurait-elle à m'accorder si ce n'est cinq minutes de son temps ? Oserais-je formuler mes désirs les plus profonds en un laps de temps si court ? Trouverais-je le moyen d'amorcer la discussion ? J'avais bien conscience de n'être qu'un goujat à ses yeux et j'assumais cette étiquette, autant que j'assumais avoir choisi ma carrière au détriment d'une vie de famille, ce que probablement Victoria comprendrait et je me confortais dans l'idée d'être plus qu'un lâche car au fond, j'en étais bien un.

14h15 J'aurais du m'en douter, j'imagine. C'était à moindre mal. Je n'étais même pas vexé, loin du gamin capricieux que je pouvais être d'habitude. A croire que je lui aurais tout pardonné. Lilly. Même ce terrible affront. Soupirant, je me redresse et la vois soudainement arriver au loin, élégante, trottinant. « Dexter. Salut. Je suis vraiment désolée pour le retard, dit-elle, un peu nerveuse. J'avais oublié un truc, je....Elle lui mentait, n'osant point lui dire qu'elle n'avait pas été totalement sûre de venir...Enfin, bref...Tu as l'air en forme dis-donc. » M'attardant avec curiosité sur ses courbes de femme mûre aux allures de sylphide, j'admire un instant son maintien de femme accomplie, épanouie, réalisant avec une certaine déception que mon départ lui a été bénéfique au moment ou je commençais à douter de mes actions passées. « Je commençais à penser que je n'allais jamais te revoir. » Fis-je simplement, ajoutant dans une respiration. « Je te remercie d'être venue, en tout cas. En effet, je souhaitais te parler. Tu voudrais faire un tour ? » Demandais-je soudainement alors qu'une famille nombreuse s'approchait dangereusement de notre point de rencontre, armée de glaces et de bonbons en tout genre et je pris peur, non pas par phobie des enfants mais pour la santé de mon perfecto italien.
Retirant ma veste, sentant un vent chaud me balayer les joues, je la pliais et la posait sur l'un de mes bras. Que propose t-on a la mère de son enfant ? A son ex-pseudo-compagne que l'on a pas revu depuis plus de sept ans ? Une étreinte, une glace, un dîner ? La promesse d'un lendemain ?

« Tu veux une glace ? » Demandais-je le plus simplement du monde, emboîtant le pas vers le glacier d'en face, pris au dépourvu par tout ce que Lilly me renvoyait en plein visage, déstabilisé par sa présence, espérant secrètement qu'elle accepte ma proposition, tel un adolescent en manque de compagnie. Que voulais-je déjà ? Ah oui, lui parler de mon désir de paternité, de rencontrer mon enfant et d'être enfin le père qu'il n'a jamais eu. Comme si cela était facile, comme si disparaître et revenir était la chose la plus naturelle au monde, comme si je banalisais mon départ de la manière la plus vulgaire possible.
Parfois je m'imaginais que Lilly, l'enfant et moi formions une famille, tout simplement parce qu'il était distrayant d'imaginer ce qu'un Dexter marié et père de famille serait, même si cette vision pouvait être totalement à l'opposé de mes désirs profonds. J'aurais pu épouser Lilly, simplement parce qu'elle avait donné la vie à mon fils, m'installer auprès d'elle et jouer à la famille idéale. Parfois, ça semblait plus simple et rêvasser était pour moi un refuge lorsque les choses se compliquaient, lorsque je doutais de moi même et que j'ignorais dans quelle direction aller. Et là, je me rappelais que ces chimères n'étaient que du fantasme et me replongeaient indubitablement dans ma réalité. « Pour moi, ce sera une italienne vanille. » Fis-je, uniquement pour ne passer pour un indécis en choisissant le bi-goût et me trouvais stupide de penser à ce genre de détails. Je tendais un large billet, priant secrètement qu'elle accepte l'idée stupide de manger une glace sur la jetée, comme si il n'y avait rien de plus normal. Pour ma défense, Lilly avait été habituée à ce genre de comportement mais peut-être avait-elle décidé que rien ne l'obligeait à se plier à mes règles.