iv. Histoire
Never say ‘no’ to adventures. Always say ‘yes,’ otherwise you’ll lead a very dull life.
1987 – 2000 Mama ? « Maman ? » C’est ma voix - la petite Andy - qui résonne dans la cuisine, un après-midi d’été, après être rentrée d’une sortie en ville avec ma voisine et amie, Lola.
« Maman ? » -
« Où étais-tu, jeune fille ? Tu sais bien que nous devons rendre visite aux nouveaux voisins. On doit faire bonne impression sinon ils vont nous épingler pour manque d’hospitalité. Tu te souviens quand… » et elle parlait, elle parlait... Ma mère me faisait dos, afférée à la préparation de je ne sais plus quel gâteau ou biscuits à offrir aux nouveaux locataires. Avec le recul, j’ai l’impression qu’elle se doute de ce que je vais lui annoncer. En grandissant, j’arrive à assimiler des attitudes propres à ma mère avec certaines situations. Celle-ci particulièrement : s’occuper l’esprit de tâches à faire, pour ne pas affronter une réalité qu’elle ne saurait maîtriser. Peut-être que mon besoin de contrôle vient de là, mais j’ai si j’ai bien appris une chose, c’est celle-ci : ne deviens pas comme ta mère, Andy.
« Maman ! ». Elle se retourne enfin pour m’accorder son attention.
« Qu’est-ce qu’il y a Andy !?... ».
« Heu… Hum… J’ai vu quelque chose, avec Lola… On était en ville et… ». Quand il s’agit de ragots, ma mère est la première à ouvrir grand les oreilles. Imbattable sur tous les potins de notre quartier, elle ne manquerait pas une occasion d’alimenter son dossier sur une personne. C’est finalement la seule occupation peut-être, quand on est une mère au foyer, trop idéaliste et affreusement frustrée.
« Qu’est-ce que tu as vu, jeune fille ? ». Le ton grave qu’elle emploie me fait froid dans le dos. Soit elle attend une info à se mettre sous la dent –et dans ce cas j’ai tout intérêt à lui balancer L’INFO de l’année-, soit elle s’imagine que Lola et moi avons vu un pervers exhibo se pavaner en ville. Forcément, en figure maternelle autoritaire, elle réussit à me faire bégayer, au point que j’hésite à lui dire ce que je sais. C’était peut-être une mauvaise idée. Parfois, les secrets, ça ne fait de mal à personne… Mais je ne suis pas comme ma mère, et à mon âge, on n’a pas la langue dans sa poche :
« J’ai vu papa… Il était avec une femme… ». Je ne sais pas si j’ai perdu son attention, ou si elle est encore plus curieuse, mais le regard qu’elle pose sur moi est totalement déstabilisant. Les prunelles ancrées dans les miennes, ma mère ne me lâche pas une seule seconde. Elle veut savoir, et je ferais mieux de cracher le morceau tout de suite avant qu’elle ne m’en colle une.
« Il était avec une femme… Et il l’a embrassé… ». A treize ans, on sait reconnaître une infidélité. Personne n’est bête. Et j’espérais peut-être que ma mère réagisse en conséquence. C’est vrai, papa trompe maman. On n’embrasse pas la voisine sur la bouche pour la saluer. Alors une femme sortit de nulle part… Silence. Ma mère reste stoïque pendant quelques secondes. C’est bien la première fois que je la vois perdre ses moyens comme ça. Elle ne sait clairement pas dans quelle position se mettre, comment réagir, quoi dire, que faire.
« Que faisais-tu en ville avec Lola Trump ? » -
« On voulait aller au cinéma pour voir… » -
« Tu ne m’avais pas prévenu pour le cinéma. Jeune fille, tu es privée de sortie jusqu’à nouvel ordre. Maintenant, va dans ta chambre, je dois finir ce gâteau. » et sans rien ajouter, elle se retourna, pour retourner à ses occupations.
Pardon ? Je crois que depuis ce jour, et au fil des années, je ne vois plus ma mère de la même manière. Et que mon respect pour elle s’est considérablement effrité. Parce qu’elle m’a blâmée pour avoir été « trop curieuse » selon elle, et avoir dit du mal de mon père.
Je crois que depuis ce jour, et au fil des années, j’ai tout fait pour ne pas ressembler à ma mère.
2004 – 2010 hold my liquor C’est à mes dix-sept ans que je décide de prendre les voiles pour Los Angeles. Je n’ai plus rien à faire à San Francisco, ou du moins, c’est ce que mon esprit d’ado en quête de liberté se dit. L’école, ça ne me réussit pas. J’adore ça, apprendre des nouvelles choses et penser que je suis un minimum cultivée. Mais l’institution scolaire et ses formes d’annotations, très peu pour moi. Ce n’est pas le genre de stress que je veux subir jusqu’à l’université. J’ai dix-sept ans, des rêves pleins la tête, et bordel, j’ai envie de vivre. J’ai une mère étouffante et leurrée, un père volage et un grand-frère débile. Qu’est-ce qui m’attend ici ? Absolument rien. San Francisco n’a rien à reprocher à aucune autre ville, mais c’est moi et ma famille, les tares du coin. Vous voyez ce que je veux dire ? J’ai l’impression que quelque chose cloche dans cette fratrie. On a tous des cases en moins, on vit tous dans une fiction et personne ne veut affronter la réalité : ma mère se croit intelligente en ignorant les infidélités de mon père, celui-ci pense être malin en nous couvrant de cadeaux, et mon frère pense seulement à se taper des filles désespérées et à jouer à ses jeux vidéo. Et moi ? Moi j’ai envie de vivre à deux cents à l’heure, remplir mes poumons d’oxygène jusqu’à l’implosion, croquer la vie à pleines dents et faire mes quatre cents coups avant de devenir une adulte barbante et protocolaire. Je n’arrive même pas à imaginer mon avenir dans une courte période, c’est pour vous dire à quel point je ressens ce besoin urgent, voire viscérale de me sentir existée. Je veux me dire que j’ai au moins fait un truc cool avant de repartir. Le fait que ma vie puisse être fade et lambda, calquée sur celle des autres individus sur cette Terre, ça me donne franchement la chair de poule et des sueurs froides. Je dois vivre.
Parce que mon père « adore sa Andy chérie plus que tout », je n’ai pas eu grand mal à le convaincre de m’inscrire dans un lycée à Los Angeles. Je suis encore mineur et le seul motif valable pour que je quitte ma famille, c’est pour un meilleur futur. Bullshit ! Je ne sais même pas à quoi ressemblait mon lycée, une fois installée à L.A. J’ai seulement connue l’espace réduit que constituait le bureau du proviseur, Monsieur Kegen. La photo de sa mère à droite, celle de sa femme et ses enfants à gauche, des babioles en tout genre soigneusement alignées sur le bord du bureau, et un pot de stylos tout à fait banals mais certainement chers. Forcément, je me rappelle aussi de ses sermons, ses menaces peu convaincantes et sa manière de me fixer avec un regard tueur. Un peu comme ma mère. Ça doit être pour ça, qu’il ne m’effrayait pas plus que ça. Ou qu’aujourd’hui, je fuis toute forme d’autorité, de manière générale. Quoiqu’il en soit, je n’ai pas fait long feu dans les salles de cours. Demandez à n’importe quel étudiant, personne ne saura dire qui je suis. Et moi-même je m’en fiche pas mal.
Sauf Léo. J’ai connu un sacré type, pendant cette seule année. Un ado, tout aussi tête brûlé que moi. Lui, il en avait dans les tripes. Il voulait vivre, ça se voyait dans ses prunelles. Ca brillait, ça brûlait. C’est comme ça, quand on est plus intelligent que les autres et qu’on voit tout ce qu’on peut louper. Et on a tout de suite accroché, à une énième soirée étudiante où je n’étais pas invitée. De là, les choses s’enchaînent très vite : on se découvre, on s’attarde sur la vie de l’autre, et on se rend compte à quel point on adore sa compagnie. En l’occurrence, avec Léo, c’était une sorte de coup de foudre. Deux esprits qui se rencontrent et qui se comprennent sans rien dire. Alors forcément, on est devenu amis. Si on omet l’idylle d’adolescents excités. Pas que je dénigre cette partie de l’histoire, mais j’aime à me dire que Léo est surtout un de mes seuls réels amis, avant d’avoir été un petit-ami. Bien que cette période de ma vie de jeune adulte en devenir a été la meilleure. On étaient les enfants terribles de Los Angeles. Les rois du monde. Notre monde.
L’insouciance, ça fait un bien fou. Surtout quand on fait ça à deux.
C’est vers mes dix-neuf ans que j’ai réussi à réellement vivre par mes propres moyens : mon oncle Ted –le petit frère de ma mère- m’a foutu à la porte, après avoir appris que je passais plus mes journées à traîner en ville, puis plus tard à travailler dans un coffee shop, plutôt que de plonger mon nez dans des manuels scolaires. Est-ce que je lui en veux encore aujourd’hui ? Absolument pas. Sans ça, j’aurais pu profiter de vivre sous son toit certes, mais j’ai dû apprendre à la dur : bosser, payer un loyer, me nourrir, … Tout ça à dix-huit ans, avec le peu de confiance que les grands attribuent aux « jeunes » adultes. Et même si j’ai vraiment galéré, je ne regrette pas cette aventure folle. Et grâce à cette nouvelle vie, livrée à moi-même, je pouvais abandonner tous les codes de bonne conduite inculqué par ma mère. Et puis dans le fond, la bonne conduite, c’est quoi ? La seule autorité que j'ai potentiellement acceptée pour mon bien, c'était celle de mes boss. Même si certains ont été sympathiques avec moi, d’autres se sont montrés détestables, au point de me faire envisager l’incendie volontaire.
L’autorité ? Fait chier. Je n’ai pas fuis ça à San Francisco pour la subir malgré moi à L.A. Fait ci, fait ça. Non, ce n’est pas comme ça. Non, tu ne peux pas répondre à un client mécontent qui te casse les pieds. Non, tu ne peux pas fermer ta caisse et te barrer dans l’arrière-boutique comme si tu étais chez toi. J’ai tout entendu, et j’en ai franchement marre de ça. Les règles, les lois, les bonnes mœurs. Si on vivait dans un monde juste, peut-être que les choses seraient meilleures. Mais on est bientôt en 2010 et le monde est pourrit jusqu’à la moelle.
Alors en attendant la fin, ce qu’on peut faire, c’est se rebeller contre ce système corrompu.
2010 – 2014 fuck it, be bad Je dois tout de même avouer que ce train de vie ne m’a jamais aidé, côté cœur. Je sais que je suis tout sauf stable, comme nana. Et effectivement, si j’étais plus posée et réfléchie, peut-être qu’aujourd’hui j’aurais un fiancé à présenter à mes parents, en plus d’un emploi fixe et légal. Mais non. Léo peut éventuellement être considéré comme un amour de jeunesse, le genre d’amour naïf et insouciant. Mais Aaron ? Je n’aurais jamais pu présenter un type pareil à mes parents. Premièrement parce qu’il n’aurait jamais osé en arriver jusque-là j’en suis sûre, et deuxièmement parce que notre relation était aussi passionnelle que chaotique. Le genre à vous rendre vraiment malade à en crever. Et même si cet amour était épuisant autant physiquement que psychologiquement, je ne regrette rien. Pas même son départ du groupe. C’est comme ça. Les gens grandissent et prennent des routes différentes.
Et puis Miccah. Miccah. Un gaillard au cœur tendre. Un humaniste. Prêt à aider son prochain. Je m’étonne encore aujourd’hui de le savoir membre à part entière du gang. C’est vrai. Quand on connait son parcours professionnel, on se dit tout de suite que c’est le militant passif. Le type qui fait tourner une pétition et qui espère que la bonté de l’homme fera le reste. Mais non. Miccah, et même si c’est un chic type, c’est aussi et surtout un militant engagé et investie. Et j’ai instantanément craqué sur lui, la première fois qu’il est venu me voir au zoo. En plein « boulot », il s’est présenté, et a demandé à rejoindre le mouvement. J’ai plutôt l’habitude de ce genre de demandes : en général c’est mauvaise blague de guignols qui veulent juste se foutre de nous. Mais Miccah, lui, il avait l’air sérieux. La preuve, c’est qu’il s’est donné à cent pour cent dans le mouvement. Et les autres. Sa présence était de plus en plus sollicitée. Tout le monde l’appréciait, dans le groupe. Jusqu’à ce que les choses tournent mal, comme toujours…
Alors oui, aujourd’hui, ma vie a pris une tournure tout à fait différente de ce que j’imaginais. Pas que je me voyais quelque part en particulier –quoique peut-être à faire le tour du monde et aider des vies en Inde- mais qui aurait cru que la petite Andy ferait des choses pareilles ? Aujourd’hui, mon terrain de chasse, c’est Los Angeles. Moi et mon groupe, on s’assure que cette zone respecte les réelles mœurs : l’humain, sa dignité et son intégrité. Mais pas que les hommes. Les animaux aussi. On s’assure que tout être vivant et « pensant » soit respecté dans son entièreté. Mais comment faire, quand on sait que les tests médicamenteux ou de cosmétiques sont fait sur les animaux ? Ou que quelque part, dans une prison des Etats-Unis, un homme encours la peine de mort ? Et comment peut-on se faire entendre, quand on est considéré comme un pauvre groupe de frustrés ? En faisant le plus de bruit possible. En cassant, en faisant du boucan. Fort. Toujours plus fort. Ça n’a rien de pacifiste, et j’aurais aimé que les choses soient différentes dans certains cas… mais ils me dégoûtent tellement, ces ignares, ces conformistes, ces gens de la haute, ces friqués qui pensent que l’argent et les faux sourires achètent tout. Ces multinationales qui nous étouffent, ces autorités compétentes qui pensent faire la justice… Oui, beaucoup de choses me révoltent. Le racisme, l’homophobie, la fracture sociale, le mauvais traitement des animaux, l’abattage de masse, la déforestation, la fonte des glaces, … la liste est affreusement longue. Et puis vous vous direz « oh, encore une illuminée ». Et je me surprends même à rire de ces personnes, complètement et farouchement investies dans ce qu’ils pensent être justes. Mais sans eux, qu’est-ce qu’on ferait ? Tout le monde se tairait et subirait ce que les « gens au-dessus » auraient décidés. Alors oui, officiellement c’est un groupe de manifestants pacifistes… Mais puisque personne ne nous écoute, et que le nombre d’insurgés ne cesse de croitre, on ne va pas se taire et revendiquer nos droits fondamentaux en silence.
C’est pas le Canada, ici !2015 Oh shit !« Allez Andy, parle. Toutes les preuves sont contre toi. Tu ferais mieux de tout nous dire. » Fait chier. Il est peut-être deux heures du matin. Ou cinq heures. Je n’en sais rien, je suis enfermée ici depuis des heures c’est sûr. La garde à vue, ça me connait. A force de faire mes "conneries" , j’arriverai presque à nommer tous les gendarmes de garde. Mais cette fois, c’est vraiment merdique. Pour de vrai. Avec Miccah, on s’est fait prendre la main dans le sac : on a réussi à sauver les rats de laboratoire d’un énième laboratoire expérimental, à nos dépens toutefois. Mic a eu plus de chance que moi. Il a pu s’enfuir à temps, mais j’ai choisi le mauvais chemin, et ils m’attendaient… Là, trop fiers d’avoir saisi le poisson. Maintenant, je suis en salle d’interrogatoire, je me les gèle comme jamais et deux inspecteurs me scrutent avec ténacité, comme s’ils allaient me faire cracher le morceau par la seule force de leur regard conjugués. Conneries ! Sauf qu’ils commencent à me déballer des infos sur Miccah. Merde. Ils se sont renseignés sur lui. Fait chier, ils vont lui tomber dessus tôt ou tard. Et l’hôpital ? Ça va foutre en l’air sa carrière, c’est sûr. Il aime tellement ce qu’il fait, pour les gosses. Merde, Merde. Andy, réfléchie.
« Donne nous le nom de ton leader, et on t’évite la prison, à toi et tes potes » -
« Ok, ok… ! Personne ne veut aller en prison, d’accord ? On reste cool les gars… » -
« Un nom. Tout de suite. » -
« Hey, doucement. J’suis pas une balance, ok ? Si vous voulez un nom, vous le trouverez par vous-même… Si j’vous le dis, là tout d’suite, ils vont tous comprendre que j’ai cafté. Alors merde, faites ça proprement. Laissez-moi retourner dans le groupe. J’vous dirai c’que vous voulez… sans rien vous dire. Vous voyez où j’veux en venir, hein… ? » Mais pitié, laissez Miccah hors de ça. J'arrive pas à croire que je négocie avec des enflures pareilles. Mais à croire, je n'ai pas d'autres possibilités. Et puis, s'ils pensent vraiment que je vais leur rendre la tâche plus aisée. Allez chier, les gars.
Pourtant, le lendemain, j'ai appris que Miccah perdait son poste à l'hôpital. Et que je perdais aussi mon petit ami.
Bande d'enfoirés.