Because nobody's perfect

D. && Andy

Le studio d'enregistrement était rapidement devenu un des endroits préférés de D. Il fallait bien avouer que l'ambiance studieuse qui y régnait parfois lui offrait un répit certain, et personne n'essayait de le faire parler quand il jouait. Ce n'était pas comme s'il ne pouvait vraiment pas parler. Ce n'était pas comme s'il était muet ou avait fait un vœu de silence qui avait une véritable signification pour lui... Il n'était pas devenu prêtre ni n'avait choisit de se taire jusqu'à l'accomplissement de quelque chose d'important. Quoi que cela tenait un peu de ça. Il avait décidé de se taire parce que son psy lui avait affirmé que pour régler ses "légers" problèmes d'agressivité, il fallait qu'il soit plus à l'écoute des autres. Si D. n'avait pas trop compris l'idée - écouter les autres signifiait justement avoir plus de risques de les trouver énervants, à son humble avis - il avait décidé qu'arrêter de parler était la meilleur solution. Ne plus parler aux autres signifiait forcément les écouter plus. Ou presque. Parce qu'il avait beau se taire, il n'était pas toujours le garçon le plus attentif du monde. Mais le studio avait définitivement un effet bénéfique sur lui. Plus que le fait de ne pas parler. La musique avait un effet apaisant, la musique lui occupait le cerveau de manière telle qu'il n'avait pas le temps de penser à autre chose, pas le temps de penser aux autres, pas le temps de penser à s'énerver.

Alors quand il n'arrivait plus très bien à contrôler ses nerfs, il revenait parfois au Hit Joint. Juste pour se poser un moment, respirer, sortir sa guitare et gratter quelques notes ou simplement boire un café. Il n'avait pas besoin d'avoir un enregistrement de prévu pour décider de revenir au studio, il n'avait pas besoin que les autres du groupe lui y donnent rendez-vous. C'était pas si loin de chez lui, c'était généralement bien fréquenté - quand Leo ne ramenait pas son frère... Alors c'était parfois mieux de venir ici plutôt que de rester vautré dans le canapé de la coloc à improviser deux-trois trucs moches sur sa guitare tout en résistant tant bien que mal à la tentation de partager un rail avec Deklan. Quoi que cet idiot consomme, ça n'était sûrement pas bon pour les nerfs de D. Il avait souvent l'alcool mauvais et la drogue n'arrangeait rien à la chose. Alors non, il n'était pas vraiment le genre de gars à tenir trop à sa sobriété, mais il évitait tout de même de consommer avant 15h. Il ne s'imposait pas beaucoup de règle, mais celle-ci lui paraissait suffisamment évident pour qu'il arrive à s'y tenir. Parce que les quelques fois où il avait craqué, ça n'avait jamais bien fini. Et que commencer après 15h lui laissait encore largement le temps d'être totalement déchiré.

Et pour le coup, il était sobre. Bien sobre. Et il était bel et bien venu s'exiler au Hit Joint dès le début de l'après-midi pour éviter la tentation ou simplement parce qu'il n'y avait plus rien à manger à la coloc et qu'il avait décidé d'aller s'acheter un burger bien gras plutôt que d'être réduit à manger des chips périmées depuis trois mois. Il s'était exilé pour reposer ses nerfs en grattant quelques notes sur les cordes de sa guitare. Une cigarette allumée au bord des lèvres, en tailleur sur une table quelconque, il avait enchaîné quelque accords sans vraiment de logiques, il avait improvisé comme ça lui venait sans trop s'inquiéter. Personne n'était là pour l'écouter de toute façon. Et quand bien même quelqu'un aurait été là, il n'était pas du genre à douter de ses capacités de guitariste. Il était doué et il le savait. Il était capable de passer ses après-midis une clope aux lèvres, le regard perdu sur les cordes de sa guitare, à improviser les premiers airs à lui venir à l'esprit. Mais ce n'était pas sensé être le programme de la journée. Il avait prévu d'aller à un moment refaire les réserves de nourriture pour la coloc, peut-être passer voir quelques amis, peut-être aller boire un verre en bar si le groupe sortait. Il avait donc finit par arrêter d'enchaîner les clopes et rangé sa guitare dans son étui qu'il avait passé sur son dos. Il s'était préparé à décoller et il était tombé sur la dernière personne qu'il s'attendait à croiser.

« Andy. » Ça aurait du être un ton un peu surpris, mais il s'était planté sur l'intonation. A force de ne plus parler, on perd certaines habitudes. Et puis au final, ce n'était pas si surprenant que ça de la croiser ici. Elle vivait dans cette ville, elle fréquentait même les mêmes personnes que lui. C'était juste qu'il l'évitait avec un talent indéniable. Il l'évitait tellement bien que la croiser ainsi par hasard lui avait paru absurde. Et qu'il la regardait avec cet air un peu paumé qui lui allait si bien. Il finit par s'éclaircir la gorge et lui offrir un sourire léger, presque naturel. « Qu'est-ce que tu fais ici? » Un ton aimable, qui se veut décontracter. Parce qu'il l'aime bien, Andy. Un peu trop bien même. Et c'est bien pour ça qu'il la fuit. Parce qu'elle fait partie de ces personnes qu'il a fréquenté avant son vœu de silence. Avant qu'il abandonne l'idée de parler, juste pour comprendre les autres. Avant qu'il décide de gérer ses problèmes de violence, ses accès de rage un peu trop récurrents. Il avait le don pour attirer les emmerdes et c'était bien pour ça que le courant était tout de suite passé avec Andy, la première fois qu'il l'avait vue. Parce que quelque chose au fond de lui savait qu'elle lui attirerait des emmerdes. Et c'était aussi pour ça qu'il avait arrêté de la fréquenter, quand il avait décidé de se prendre en main, d'être clean, d'être zen, d'être un mec bien. « Tu vas bien? » Heureusement, personne n'était dans les parages. Il s'agissait là du plus grand nombre de mots enchaînés par D. depuis un mois au moins. Il parlait encore à quelques rares personnes. Et de toute évidence, Andy ferait partie de ces privilégiés. Parce qu'il ne se sentait pas de jouer au muet avec elle. Il ne se sentait pas de la croiser et de fuir. S'il la voyait, il voulait parler avec elle, il voulait passer du temps avec elle... Et c'était bien pour ça qu'il évitait à tout prix de la croiser d'habitude.