Freya relut une énième fois le dossier. Concentrée, elle s'appliquait à bien lire chaque mot. Pas qu'elle ait des problèmes de vu, mais un problème d'attention. Assise à même le sol, en tailleur, le dossier posé sur les genoux, une tasse de thé fumante près d'elle, elle paraissait sereine. Pourtant, elle bouillonnait. Elle avait toujours été consciente de la difficulté de la demande, mais là, c'était devenu réel. Elle passa une main sur son front fiévreux alors qu'il faisait bon dans la pièce, puis essuya une larme solitaire au coin de son oeil. Refusé. Sa demande avait été refusée. Freya était une optimiste née, une de celle qui pensait durement que le bon existait en chaque homme, même ceux de la pire espèce. Téméraire, elle n'était pas du genre à se laisser abattre facilement. Mais là, elle sentait ses forces l'abandonner. Pourtant, ce dossier, elle l'avait en main depuis trois semaines et elle en connaissait chaque lignes, chaque points et virgules. Elle le fixait comme si son contenu avait pu changer dans la nuit. Mais chaque matin, même déception, même frustration. Refusé. Elle entendit du bruit en bas et se releva péniblement, rangeant le dossier dans le tiroir de son bureau. Elle fixa son image dans le reflet du miroir. Elle ne renvoyait pas le visage d'une trentenaire. Elle avait un corps athlétique, fin et petit certes, mais musclé. Son visage était encore poupon, bien encadré parmi des mèches rebelles, tantôt blonde ou rousse, selon l'humeur. Quant à ses yeux, ils étaient pétillant d'ordinaire, curieux et malicieux. Freya plaque une mèche derrière son oreille et passa un pull léger par-dessus son débardeur transparent.

Elle descendit et retrouva Clyde, occupé à ranger les courses. Elle était persuadée que c'était son tour cette semaine, mais Clyde n'était pas du genre à lui en tenir rigueur. Elle se glissa près de lui, lui faisant une bise au passage. A eux deux, ils ne mirent que quelque seconde à tout ranger. Ils formaient une bonne équipe, c'était indéniable. Freya pouvait interpréter ses mouvements avant lui, tout comme il savait quand elle allait parler sans même la voir. « Tu bosse comment ce soir ? ». Freya était curieuse, mais avant tout, elle avait souvent peur pour lui. Il était flic, ce qui était aussi courageux que dangereux à ses yeux. En réalité, elle ne se sentait pas de rester toute seule ce soir. Pourtant, la solitude ne lui avait jamais posé de problème avant. Mais avec le temps, la solitude devenait pesante, inquiétante et la renvoyait à son incapacité à devenir mère. « Je termine mon service à 22h, normalement. » Elle fit la moue. Une longue soirée l'attendait alors. Parce qu'il savait quand il commençait, rarement quand il terminerait. Devant son visage fermé, Clyde vint la taquiner et la chatouilla sur les côtés. Freya se laissa prendre au jeu, retournant à l'enfance durant quelques secondes. « Et on se fait un épisode quand tu rentre ? » Parce qu'ils avaient leurs petites habitudes. Parce que Freya partageait bien plus qu'une simple maison avec le Fawkes. Il acquiesça avant de regarder sa montre, signant l'heure du départ. « Et si tu pouvais oublié de nourrir le chat... », lança-t-il à la volée. Freya souria malgré elle. Comme beaucoup de choses, Clyde avait fait l'impasse sur ses propres principes pour faire plaisir à Freya. Il ne supportait pas ce stupide chat qui s'était invité chez eux des mois plus tôt mais devantles yeux plein d'amour de Freya, il avait cédé.

Freya était entrain de relire un article destiné à un magazine pour le lendemain, le vieux matou roulé en boule dans le creux de sa cuisse, quand son portable sonna. C'était la personne de l'association concernant l'adoption. Freya soupira avant de décrocher. « Mademoiselle McCarthy, je m'inquiétais... Je suis désolé... », Freya n'écoutait que d'une oreille. Cette bonne femme était gentille, mais lui rappeler qu'elle ne pourrait pas adopter n'était pas la meilleure façon de se faire bien voir. « ...Vous comprenez qu'il est très difficile d'adopter lorsqu'on est seule. Les associations sont très frileuses envers les parents célibataires... ». Freya savait déjà tout ça. Elle épluchait tous les articles sur l'adoption et la maternité depuis des mois. Elle avait appelé des organismes, des parents dans la même situation, bref elle était devenue une experte dans le domaine. Mais pas pour le reste. Comme de coutume, elle toucha son ventre creux. Son interlocutrice lui rappela une énième fois sa déception pour elle et fini par raccrocher. Au même moment, Clyde franchissait la porte d'entrée, un paquet de churros dans les bras. Freya retrouva sa contenance en quelque seconde, enregistra son article et se jeta sur lui telle une gamine, piochant au passage une pâtisserie. Un peu plus tard, ils étaient installés devant la télévision. Le coeur devenu gros soudainement, Freya posa sa tête sur les jambes de son meilleur ami, trouvant un peu de réconfort en sa présence.

Clyde, sur beaucoup d’aspect était un gamin irresponsable. Le genre de gamin qui vous fatigue tellement il bouge partout, est capable d’enchaîner connerie sur connerie, et ne lâche jamais son grand sourire con de son visage. Oui, sur beaucoup d’aspect, Clyde était quelqu’un sur qui on ne pouvait pas compter. Il n’y avait que deux choses dans sa vie qu’il savait faire à la perfection. Son job, et encore il lui arrivait de cafouiller et de se laisser un peu trop aller, mais dans l’ensemble il était bon. Et Freya. Avec Freya, il savait presque effleurer la perfection. Elle n’était pas dans son assiette ? Il allait faire les courses en douce à sa place, et il achetait ce qu’elle préférait. Il était attentif, à l’écoute, et presque toujours disponible. Il était difficile de s’imaginer qu’ils ne puissent être qu’ami. Ils étaient tout le temps fourré ensemble. Ils habitaient ensemble. Clyde passait volontiers une soirée avec ses collègues pour rentrer à ses côtés et se regarder un épisode de série télé. Bref, ensemble, ils savaient être aussi casanier qu’aventurier. Et surtout Clyde ne disait jamais non à Freya. Ainsi il se tapait un chat squatteur qui lui faisait peur et qui venait le réveiller le matin, même lorsqu’il avait travaillé presque toute la nuit. Ce chat était une plaie, et s’il pouvait il le jetterait de la maison à grand coup de pied. Mais voilà, sa Freya, au coeur trop grand, et trop mignon pour pouvoir se débarrasser de l’animal avait encore eu raison de lui. C’était toujours la même histoire cela dit. Freya finissait par le regarder avec ces grands yeux, Clyde levait les épaules au ciel, et emballé c’était pesé. On pouvait dire que c’était de la faiblesse, surement.

Alors ce soir n’échappait pas à la règle. Il avait fait les courses, les avait rangé, et avait gagné une bise au passage. Il avait fait un sourire vainqueur et avait répondu à ses questions. Il avait finit par l’embrassé sur le front et par filer à son travail. Contrairement à Freya, il ne s’inquiétait jamais de ce qui l’attendait. Déjà parce que s’inquiéter n’était pas réellement son genre. Et puis parce que ça ne ferait que lui desservir. Il arriva au post pour prendre la relève de ses collègues, et distribua check sur check et sourire bienheureux. Clyde était dans la place. Aodhàn arriva avec une dizaine minutes de retard et Clyde le félicita en voyant son café dans la main « Merci partenaire pour le café ! Désolé si la queue au café t’a mis en retard ! ». Il gratifia son compère d’un grand sourire avant de plonger ses lèvres dans le café brulant. Tant pis pour Aodhàn, il n’avait qu’à être à l’heure. Il alla dans son bureau, avec le brun sur les talons. Il lui rendit néanmoins son café dès qu’ils furent seul. « Tu devrais penser à amener deux cafés si tu veux être en retard la prochaine fois… j’en ai marre de n’avoir qu’une seule gorgé à chaque fois ! » son compère siffla, et le gratifia d’une tape sur l’épaule. « On fait quoi ce soir ? » demanda-t-il avec cet éternel ton enjoué ! Clyde aimait bien Aodhàn. Il était à la fois mille fois plus brouillon que lui, et mille fois plus consciencieux… C’était un mélange particulier, mais assez rafraichissant. Ca donnait surtout lieu à des situations assez cocasse ou Aodhàn se rendant compte qu’il faisait tout trop vite et mal, s’énervait contre lui même et se mettait à bafouiller dans ses gestes et ses paroles avant de s’y remettre. Ses cours moment hors du temps était de véritable mine d’or pour Clyde qui était forcé de constaté qu’à par ça, c’était quelqu'un de bien, même de bien mieux que lui. Aodhàn finirait très certainement par rapidement lui chiper sa place. Quoiqu’il en soit, ce soir ils étaient dans la voiture. Musique à fond, Clyde au volant qui tapotait le rythme, Aodhàn qui chantait à tue tête, ils n’avaient pas vraiment l’air de deux flics en patrouille. Mais le fait est qu’on les regardait moins s’ils avaient l’air une voiture avec deux cons dedans qui n’avaient pas l’air de faire leur job. Ils faisaient moins peur. Donc on s’arrêtait moins de faire ce qu’on avait à faire. Le fait est que la tournée avait été assez calme. En même temps il n’avait pas le milieu de la nuit alors c’était encore relativement tranquille. Quelques suspicions par ici par là, quelques appels radio à vérifier, et quelques rappels à l’ordre. Même pas d’arrestation, c’était journée tranquille. De retour au commissariat Aodhàn apostropha Clyde « Un verre ça te tente ? ». Clyde fit un sourire « Pas ce soir, j’ai promis à Freya de rentrer ! » Aodhàn soupira « tu vas encore me dire qu’il n’y a rien entre vous ? » Clyde éclata de rire et leva les yeux aux ciels. « Rien du tout ! Je peux même vous brancher ensemble si ça t’intéresse. » Il fit un grand sourire avant d’attraper son sac. « Allez ! A demain le bleu ! »

Il rentra rapidement, s’arrêtant sur le chemin pour acheter des churros, qui ferait surement plaisir à Freya. Elle était terriblement gourmande, et lui avait un petit creux. Sans aucune surprise, elle se jeta sur lui, et lui claque une bise en piochant un churros. Clyde referma son étreinte sur elle et sourit. « Aodhàn a encore demandé si on était pas ensemble. Je suis sûr qu’il en pince pour toi. » Comme promis ils s’installèrent devant la télévision, mettant un marche un épisode pré-enregistré. Clyde posa les churros devant lui, et rapidement accueillit la tête de Freya sur ses genoux. Il passa naturellement sa main dans ses cheveux, et fronça les sourcils. « Qu’est ce qui ne va pas ? » C’était évident que quelque chose clochait. Il la connaissait par coeur, et même si Freya était plutôt quelqu’un de tactile, d’autant plus avec lui, elle se roulait rarement en boule sur ses genoux de la sorte. Il continua ses caresses rassurantes dans ses cheveux, comme si il la berçait. « On se fait une série plus gaie si tu veux ! Ou une comédie musicale ! » Et le voilà reparti!  « Je dis ça je dis rien ! » Il fit un grand sourire se penchant tout en dégageant les cheveux de son visage pour voir ses yeux.