iv. Histoire
dans le port d'Amsterdam y'a des marins qui naissent Amsterdam 1996-2004 Une enfance ordinaire, une vie qui tournait dans le bon sens. Rien n’avait jamais tourné dans le mauvais sens dans sa vie. Habituée à écouter, elle faisait ce qu’on lui demandait sans se poser de questions. Du caractère, elle en avait, mais elle le cachait sous des airs d’un ange enfantin. Elle allait vers la facilité, instinctivement, cherchant à plaire plutôt qu’à déplaire. Elle connaissait les regards de déception, ils la terrifiaient. Ils étaient comme des coups, des rappels qu’elle n’était pas le garçon souhaité et qu’il n’y aurait jamais d’autres enfants après elle. Hécate, jolie Hécate. Elle était la gosse parfaite. Sage comme une image. Elle faisait du tennis, cela plaisait à son père. Elle apprenait le violon, cela plaisait à sa mère. Elle souriait lorsqu’on la regardait. Tu es plus belle lorsque tu souris, qu’on lui disait. Elle avait des bonnes notes, mais jamais assez bonnes à ses yeux. Une poupée, laissé à l’usage des autres, c’était plus facile. Elle grandit comme ça, sous les ordres de ses parents, qui se narguaient qu’ils avaient une enfant merveilleuse. N’était-elle pas parfaite? Une image, comme toujours. Les images avaient pris le contrôle de sa jeune vie, venant la laisser à bout de souffle, préoccupée, anxieuse, mais souriante, toujours souriante. Il faut dire qu'en portant le nom des Vermeer qui n’était d’autre que le peintre de la période classique néerlandaise le plus connu puis ses parents qui étaient tout deux issus de l'aristocratie du pays, elle ne pouvait pas ne pas être parfaite. Hécate vivait les expectations des autres. La solitude était son ennemie, laissée seule à elle-même. Elle s’était trop oubliée pour se connaitre. La routine était ancrée dans ses veines, s’accrochant désespérément à chacun de ses mouvements. 6h du matin, debout, douche, petit-déjeuner, entrainements de tennis, diner mondain, et tout continuait ainsi. Chaque nouveau jour était semblable au précédent.
Puis un beau jour, tout allait basculer. Hécate, mise à l'écart, n'était guère au courant de ce que ses parents lui préparaient comme surprise. Et pour une surprise, ce n'était pas le genre qui n'aurait aucun impact sur sa vie. Elle qui demandait à longueur de journée à ses parents une petite soeur, elle allait être servie.
Un beau matin, alors que Hécate trainait dans son lit, une voix inconnue lui était parvenue aux oreilles. «
Elle peut pas se taire celle-là » souffla-t'-elle. Au rez-de-chaussé, la discussion entre ses parents et la mystérieuse inconnue continuait de plus belle au grand désespoir de la fillette. «
Hécate, descends je te prie ». Agacée par son tendre paternel, elle leva les yeux au ciel avant de descendre de son lit tout en marmonnant quelque chose d'incompréhensible mais certainement pas très approprié pour une fillette de son âge et de son rang. Elle enfila ses chaussons puis quitta sa chambre d'un pas las puis se mit à descendre les escaliers de marbre avec autant de grâce qu'un hippopotame. «
Voici Bonnie, ta grande soeur » dit sa mère, un sourire radieux, la main posée sur l'épaule d'une fillette aux jolis cheveux blonds qui faisait pâlir d'envie Hécate. «
Père, mère. Si je puis me permettre il y a erreur sur la marchandise. J'avais demandé une PETITE soeur, pas une GRANDE soeur.». C'était vrai quoi... Une grande soeur ça devait être chiant. Elle allait lui dicter sa conduite, elle voudrait jamais jouer au tennis avec elle, ni faire semblant de prendre le thé comme les anglais. Déçue et sans leur adresser un dernier regard, Hécate remonta les escaliers - un peu trop rapidement - et, dans sa précipitation, loupa la dernière marche. Sans même avoir eu le temps de comprendre ce qu'il se passait, elle s'était retrouvée la tête la première sur le palier. «
J'ai rien du tout ! » puis elle claqua la porte de sa chambre, morte de honte de s'être ridiculisée devant celle qui venait de rejoindre la famille.
au gré des saisons, des décisions, je m'abandonne ,
Amsterdam 2005 - mai 2013«
Vas-y, monte, je monte la garde ! » La petite Hécate qui avait désormais neuf ans monta sur une chaise tandis que Bonnie montait la garde devant la porte de la cuisine. Au-dessus du placard se trouvait une assiette remplie de tartelettes au citron. La cadette prit les pâtisseries et partit en courant jusqu'à la chambre de son ainée. Des grands sourires illuminaient leur visage. «
Si mère nous demande où les tartelettes sont passées, on accuse le chien d'accord ? » Bonnie hocha la tête en souriant, un gâteau déjà dans la bouche.
De toutes les personnes que Hécate pouvait connaitre du haut de ses neuf ans, Bonnie était la seule avec qui elle s'entendait. Il faut dire que la petite rousse avait son caractère bien a elle et qu'il était difficile de la supporter plus de quelques heures. Mais sa sœur semblait y parvenir et ce depuis qu'elle avait rejoint les Vermeer. Cela relevait de l'exploit. Tout semblait plus drôle avec Bonnie. Bien sûr, il arrivait que les deux filles se disputent mais tout s'arrangeait avant même que leur mère n'ait le temps de comprendre la raison de leurs chamailleries. Toutefois, même si Hécate aimait Bonnie aussi fort qu'on puisse aimer sa soeur, avec le temps, elle le montrait beaucoup moins voire plus du tout. L'amour qu'elle portait autrefois à sa soeur semblait se transformer peu à peu en jalousie maladive. Bonnie était belle. Bonnie était intelligente. Bonnie réussissait tout ce qu'elle entreprenait. Hécate, elle, avait l'impression de n'être bonne que dans un seul domaine: le tennis. Oh, la jeune fille excellait même. Elle avait su se faire un nom mais encore une fois, elle avait trouvé quelqu'un d'encore meilleur. A croire que le destin s'acharnait et que jamais elle serait la seule à briller.
(...)
Ariadna Nikolaïevna Sedzierska, un nom qui lui donnait envie de vomir. En plus de partager le même coach, Hécate devait partager avec elle l'admiration des gens qui s'intéressaient au tennis. Au début, la rousse s'en fichait quelque peu. Après tout, elles ne jouaient pas encore en pro. La petite rivalité entre les deux jeunes filles n'était pas bien méchante. Mais plus les années défilaient, plus les jeunes prodiges du tennis amélioraient leur jeu, plus leur rivalité s'intensifiait. Hécate en était arrivée au point qu'elle ne pouvait plus la supporter. Et puis tout se compliquait. Elle ressentait pour Ariadna quelque chose d'inexplicable qu'elle n'avait jamais ressenti auparavant. Elle en aurait bien parlé avec Bonnie, mais Bonnie n'aurait pas compris.
Les yeux dans le vide, Hécate observait le plafond un peu trop blanc de son immense chambre. Ça tournait un peu, parce qu’elle n’avait sûrement pas assez mangé pour ce qu’elle avait bu. Et les coups contre la porte retentissaient dans sa tête, ça résonnait et ça faisait terriblement mal. Elle avait envie de hurler sa rage, mais ses poumons manquaient d’air et elle se fit surprendre bloquée au milieu d’une atroce quinte de toux. Trop de nicotine, se mit-elle a penser en étouffant un rire. Hécate ferma les yeux et son cœur se mit a battre au rythme des coups contre le bois de la porte de sa chambre. Elle n’avait aucune envie de se lever ; ça faisait trois jours que c'était comme ça. Il faudrait bien, pourtant. Qu’elle aille manger un truc, soulager ses poumons en inspirant un air pur et bien plus sain que celui dans lequel elle baignait. Misérable poisson prêt à se noyer d’une seconde à l’autre. Et, d’un seul grand coup, la porte finit par s’ouvrir, lui brûlant la rétine au passage ; ça faisait trois jours qu’elle n’avait pas vu la lumière de ce long mois de mai.
«
Hécate, je t'ai pas entendu me dire de rentrer mais… » Hécate pouvait voir dans les yeux de sa soeur l’étonnement de découvrir un lieu aussi… Ragoutant. Et tandis que Bonnie se mit a avancer doucement dans la pièce, Hécate finit par ouvrir des yeux rouges vifs sur elle, avant de lui dire d’une voix complètement brisée. «
J'ai pas envie de parler Bonnie. » Il ne lui avait pas fallu plus de cinq secondes pour comprendre sa présence. «
Tu en es certaine ? On commence à être inquiets. Et puis regardes ce que je t'ai apporté. », fit-elle en tendant un plat de tartelettes au citron. Hécate se releva d’un seul grand coup. «
Écoute vous êtes adorable mais je n'ai pas le coeur d'en manger.» Aujourd’hui elle n'avait pas envie de se disputer, ni de parler plus. Noyée sous un flot de reproches, elle n’était plus capable d’entendre sa soeur lui dire qu'il faudrait songer à s'entrainer ; elle n’en avait ni la force, ni l’envie, ni le courage. «
Bonnie, j'ai pas envie de m'entrainer aujourd'hui, ni que tu me parles d'Ariadna des heures. Maintenant tu sors de ma chambre ou cette histoire se terminera rapidement. Je la mets dans un trou j’en ai pas pour une journée et après elle sera rayée de la surface de la terre et on en parlera plus. Mais j’ai la flemme, ça m’emmerde et tu m’emmerdes à me dire ce que je dois faire, alors casse-toi d’ici » Et Hécate ferma les yeux pour s’enfermer dans la quiétude la plus totale. Comme si ça lui suffisait, finalement. Un monde silencieux, calme, et vide de toute présence humaine. Mais avec un peu de tartelettes au citron, si possible.
Wimbledon Championships Londres juin 2013Se jouant sur deux semaines, de la dernière semaine de juin à la première semaine de juillet, il est le point culminant de la très courte saison sur gazon. En effet, c'est actuellement le dernier tournoi du Grand Chelem et le dernier tournoi important à se jouer sur cette surface. Le jeu était serré mais il n’empêche qu'Ariadna le menait. Le premier set venait de se terminer. Il s'était fait en 7 jeux. Le "tie-break" devait les départager. Ariadna devait arriver à 7 points pour remporter le set, à condition qu'elle ait 2 points d'avance face à Hécate. Et le jeu s'était poursuivit jusqu'à ce que cette avance soit obtenue. 7-5 au premier set. Hécate savait bien qu'elle échouerait une fois encore. C'était comme ça.
Sa cuisse la faisait atrocement souffrir, la fin du match était proche. Elle le savait, chaque muscle de son corps la torturait comme si tout allait lâcher, maintenant. Il ne fallait pas. Pas encore. Pas une nouvelle défaite. S'en était trop, elle devait se ressaisir. Renverser la tendance. Gagner ce set. Gagner le match. Il en allait de sa vie. Elle adressa un regard noir à son adversaire de toujours. 5-4. Foutu pour foutu, autant que ses muscles lâchent maintenant.
Hécate s'apprêtait à renvoyer la balle quand, d'un coup, une douleur lancinante la frappa net. Sa raquette tomba au sol et ses genoux vint la rejoindre la seconde suivante. C'était terminé, elle le savait. Un cri de douleur vint déchirer l'air. «
Jeu, set et match .»
en quelle saison reverrai-je le clos de ma pauvre maison Los Angeles 2015«
Beaucoup de repos et de la kinésithérapie assez rapidement pour que la cicatrice de la déchirure soit étirée avec des exercices spécifiques.» Voilà, il était là le résultat de tant d'années d'entraînement. Hécate n'était plus que l'ombre d'elle-même. Bonnie l'avait abandonnée pour sa carrière, Ariadna avait eu le temps de perfectionner son jeu et elle, où en était-elle ? Au point mort. Elle errait tel un fantôme dans les longs couloirs de la demeure familiale. Elle croyait presque entendre le rire de Bonnie parfois. Au début, elle s'était sentie trahie par sa soeur mais n'aurait-elle pas fait la même chose si sa carrière en dépendait ? Probablement que si. Bonnie lui manquait comme les étoiles manquent à la lune.
Cela faisait deux ans que Hécate avait perdu à Winbledon, huit mois que Bonnie était partie pour Los Angeles et trois que la jolie rousse songeait a rejoindre sa soeur. Ses parents, malgré son jeune âge, n'y voyaient pas d'inconvénients. Surtout son père qui voulait à tout prix que sa progéniture fasse quelque chose de sa vie. Il l'avait toujours soutenu pour le tennis. C'était même lui qui lui avait fait découvrir ce sport. Sa décision était prise, elle allait renverser la tendance à coups de raquette.