Elle n'avait pas vraiment planifié les retrouvailles, elle s'attendait juste à ce qu'elles arrivent. Comme si c'était quelque chose de naturel. Elle n'avait jamais été vraiment du genre à forcer les choses et elle n'avait pas vu de raisons de le faire ici. Elle était rentrée, s'était installée chez elle, et avait retrouvé son ancien travail. Mais ça ne s'était pas passé comme elle se l'était imaginé. Parce qu'elle avait beau ne rien avoir planifié, elle s'attendait tout de même à ce qu'il soit là. A la place à laquelle elle l'avait laissé, plus ou moins. Elle s'attendait à le voir avec sa blouse faussement sérieuse, et entouré de sa horde de têtes blondes. Elle s'attendait à le voir sourire alors qu'il expliquait à un patient un détail quelconque d'une opération un brin complexe. Elle s'attendait simplement à ce qu'il soit à son poste, mais il n'y était pas. Quelques années d'absence et le monde était chamboulé. Quelques années d'absence et elle n'était même plus vraiment à sa place dans ce service d'urgence, plus un visage familier pour l'accueillir, par un sourire pour lui confirmer qu'elle a fait le bon choix en rentrant. Que la froideur de ces murs d'hôpital qui contraste tant avec la chaleur étouffante de l'Afrique. Ces machines qui remplacent les gens et vivent à leur place, cette distante froideur entre les personnes. Comme un doute lui a habité le cœur un instant, un genre de mal du pays qu'elle n'avait pas vraiment ressenti quand elle était partie. Et elle doute. Mais sa première journée s'achève sans catastrophe, assez tôt car le chef lui a dit qu'elle pouvait reprendre en douceur. Et sa première idée, c'est de le chercher lui. Comme s'il était sa bulle d'air dans une mer bien trop profonde. Et elle s'en veut un peu. Parce que ce n'est pas sa responsabilité à lui, de la faire se sentir chez elle. Elle s'en veut un peu, mais tout ce dont elle a besoin, c'est son sourire et le son de sa voix. Ça ne lui coûterait pas tant que ça, si? Il ne lui doit rien, bien sûr. C'est elle qui est partie. C'est elle qui l'a abandonné ici pour aller chercher l'aventure ailleurs, autrement. C'est elle qui a décidé de jouer la sauveuse dans les pays d'Afrique sans se soucier de ceux qui étaient à ses côtés. Et elle l'assume totalement. Elle ne regrette pas vraiment ses choix de l'époque, et c'est ce qui lui fait se dire que, peut-être, elle s'inquiète maintenant, mais elle se rendra vite compte qu'elle a fait le bon choix. Elle oubliera les regrets bien assez vite pour assumer pleinement ses choix. Mais le fait est qu'elle n'y arrive pas seule, pas maintenant. Alors bien sûr, elle pourrait aller se réfugier chez son père. Retrouver la douceur du foyer où elle a grandit, le regarder lui préparer un agréable diner en parlant de la pluie et du beau temps, de ce qu'il s'est passé à la ville des anges depuis son départ, de ce que ses anciens amis sont devenus, des choix qu'elle a fait, de son travail retrouvé et de la cuisson des pancakes. Elle pourrait s'enfuir pour chercher un abri chez son père, mais ce n'est pas comme ça qu'il l'a éduquée. Le menton levé, les poings serrés, faire face aux problèmes avec hargne. C'est la façon dont son père lui a appris à faire face à la vie. Alors elle ne va pas se réfugier chez lui, pas pour l'instant, pas juste parce qu'elle va moins bien que d'habitude. Elle va d'abord remédier à ça et le retrouver Lui. Parce que s'il n'était pas à l'hôpital, il doit bien être encore quelque part à Los Angeles. Il ne peut pas juste avoir disparu de la carte sans qu'un de leurs amis communs ne daigne la prévenir. Alors elle n'avait pas planifié les retrouvailles, mais s'il faut qu'elle le cherche, elle le cherchera.

Alors bien sûr, les gens changent leurs habitudes. Les gérants des restaurants changent et la nourriture avec eux, on change d'endroit favori. Mais certains sont plus chauvins que d'autres. Certains accordent parfois plus d'importance aux gens avec qui ils partagent leur repas qu'au repas lui-même. Certains ne prétendent pas être de fins gourmets et ne vont pas faire les fines bouches tant que ce n'est pas franchement mauvais. Alors elle sait où elle peut le trouver à 19h30, alors qu'elle sort du travail. Elle se faufile dans les rues de Los Angeles qui, elles, n'ont pas changées tant que ça. Toujours la même ville, celle qu'elle aime. La même ville qu'elle traverse jusque le Nickel Dinner. Petit restaurant sans prétention, qui sent la frite grasse et le beignet. Le genre de coin où Miccah avait toujours aimé fuir la cuisine de sa mère. Et un sourire éclaire le visage d'Andrea quand elle le voit, accoudé au bar, une bière à la main. C'est l'heure de l'apéritif, de toute évidence. Elle hésite un instant, à débarquer comme ça, comme la stalkeuse qu'elle est. Elle se rend compte qu'elle est venue ici parce qu'elle savait qu'elle allait le trouver. Du moins, elle pensait. Elle se tord les doigts deux secondes puis hausse les épaules. Elle s'en fiche un peu. Elle a bien le droit de vouloir le voir, après tout ils ne se sont pas quittés en mauvais termes. Alors elle relève le menton, inspire un grand coup, et se lance. Sa main se pose légèrement sur l'épaule du blond alors qu'elle s'installe sur le tabouret de bar juste à côté du sien, son plus beau sourire aux lèvres. « Salut toi. Ça faisait longtemps. » Elle fait signe au serveur de lui apporter une bière sans lâcher Miccah des yeux. Et elle a l'impression qu'elle ne pourra plus jamais. Ça fait bien trop longtemps qu'elle ne l'a pas vu et elle a beaucoup de temps à rattraper. Les qu'est-ce que tu deviens et autres questions qui fâchent, elle les garde pour plus tard. Pour l'instant, elle veut juste le voir lui et son sourire. Et quand sa bière apparaît devant elle, elle la lève vers lui. « On trinque? » Le temps qu'il se remette de l'apparition surprise, elle tape sa bouteille dans la sienne et avale une gorgée. « Je viens de rentrer à L.A., et je me disais que ce serait sympa qu'on se fasse un dîner, non? » Andrea qui s'impose, ce n'est pas vraiment quelque chose de nouveau. La demoiselle est du genre sûre d'elle. Mais elle l'est à sa façon. Pas trop insistante, pas trop collante, juste ce qu'il faut. Même si elle ne dirait pas non à des retrouvailles chaleureuses, les gens peuvent changer, en sept ans. Et si c'est le cas, elle préfère s'en rendre compte en douceur.