Pete ne sait pas vraiment ce qui le pousse à faire acte de tant de galanterie. C’est vrai qu’elle est mignonne, la petite, mais elle a l’air bien trop niaise aussi. Sûrement qu’il doit être curieux. Il a eu le téléphone de cette petite en mains pendant des heures, ça doit être normal s’il a envie d’en savoir un peu plus à son sujet. Elle n’a pas l’air sûre d’elle quand elle accepte de prendre un café avec Peter. Mais elle accepte, c’est le principal. Dans la voiture, il ne trouve pas grand chose à lui dire. En fait, il ne dit même rien du tout. C’est toujours bien silencieux que Pete arrive en compagnie de la jeune Ebba dans le café après s’être garé juste devant. Ils s’installent dans un coin de la salle, Pete se retrouve en face de la petite blonde. Pendant un long moment, il l’observe. Ses yeux, son nez, sa bouche… Il détaille le tout, un demi-sourire aux lèvres. Une serveuse vient néanmoins interrompre sa contemplation et Pete commande un expresso. Pas de s’il vous plait, pas de merci. A peine un regard, en fait. A bien des égards, Peter est odieux. « Alors, tu fais quoi dans la vie ? » C’est bien la question la plus bateau qu’il ait trouvé. Mais c’est aussi la meilleure manière qu’il ait trouvé pour engager la conversation. Peter n’est pas du genre bavard, il n’aime pas bavasser inutilement de manière générale. Les formalités, il en use déjà assez au boulot. D’ailleurs, il est maintenant concentré sur son téléphone. Comme prévu, il a un tas d’appels en absence et de sms en tout genre. Il se contente de répondre à ceux de sa sœur, c’est bien le plus important. Le reste, c’est pour le travail et ça peut encore attendre une petite heure. Mais pas plus. Pete a plein de petits tarés à voir pour leur éviter la prison, ou pire, le couloir de la mort. Ce que c’est chouette ! La serveuse revient, dépose son café à Pete qui parvient à lui adresser un signe de la tête en guise de remerciements. Quelques instants où il n'a pas les yeux rivés sur son téléphone, pas plus. Son attention y est bien vite reporté. Mais il a fait quelque chose pour la remercier, ce n’est donc pas un cas si désespéré que ça. Il est même certain qu’avec un peu de bonne volonté, Pete pourrait arranger tout ça. Seulement de la volonté, il n’en a pas. Il n’est pas conscient que ce serait s’améliorer que de changer d’attitude. A ses yeux, il est très bien comme il est. Et même plus que très bien, proche de la perfection. A ses yeux, toujours. Oui, oui, c’est possible d’avoir un melon pareil quand on est un Mulroney.

Elle sait qu'elle n'aurait pas du embarquer dans la voiture. Bien qu'elle ait eu en sa possession le téléphone portable de Pete, il reste un parfait étranger. Mais Pete est l'un de ceux à qui on ne refuse rien. Ou alors, il en est si convaincu qu'il en persuade Ebba aussi. Après quelques secondes seulement d'hésitation, l'adolescente se surprend à prendre place sur le siège passager. Pendant le trajet, ni l'un ni l'autre ne semble avoir quoi que ce soit à partager. Et c'est bien normal: tout les sépare. L'un est aisé -et peut-être même plus, la trentaine, et l'autre n'a même pas terminé ses études, logeant dans un petit appartement payé par -et partagé avec- son demi-frère. Elle est dans une discipline artistique, et lui y a préféré la logique et les faits du droit. Parce que oui, Peter Mulroney est avocat. Bien sûr, elle s'est permis de regarder un peu. Quelques photos, enfin jusqu'à ce qu'elle tombe sur celles de Pete et d'une magnifique jeune femme. Pas célibataire, alors.

Délaissant la voiture luxueuse pour l'intérieur tout aussi climatisé du café, ils s'installent à une table, et Ebba commande un simple Americano. Noir. Elle subit l'examen très peu discret auquel il la soumet avec l'impression d'avoir le visage en feu -ce qui est probablement le cas. Normalement, la blonde aurait caché ses joues cramoisies derrière un rideau de cheveux platine, mais elle sort tout juste d'un cours et ils sont relevés en une queue de cheval haute. Elle noie donc son embarras dans sa tasse de café, comme si la porcelaine blanche tout au fond pouvait lui apporter une quelconque réponse. « Je suis prof de danse. » Elle ne sait pas pourquoi elle omet de mentionner qu'elle termine à peine ses études secondaires. Rien qu'à ses traits, il doit certainement deviner qu'Ebba n'est toujours pas majeure. De toute façon, il n'a pas l'air très intéressé, le regard fixé sur son portable qu'il n'a pas vu depuis une semaine. Alors, au lieu d'élaborer sur qui elle est et ce qui la passionne, elle s'enquiert poliment « et toi ? », bien qu'elle connaisse déjà la réponse à la question. Elle s'imagine que Pete (ou Peter, de son vrai nom) est aussi de ceux qui adorent parler d'eux-mêmes.

Beau, jeune, riche... Il a tout le profil du mec chiant et égocentrique, et les quelques minutes qu'ils ont passé en compagnie de l'autre ne tendent pas à démontrer le contraire. Mais peut-être qu'elle se trompe, et que Mulroney lui réserve des surprises... Ou pas. En tout cas, elle sait qu'il ne s'embarrasse pas de scrupules lorsque vient le temps de gagner sa vie. Ebba n'a pas pu s'en empêcher, elle est curieuse: si sa conscience l'a rapidement empêchée de fouiner dans le portable de son interlocuteur, le profil facebook de l'avocat semblait tomber dans cette zone grise qui lui a permis de satisfaire ses interrogations. « J'espère que tu n'as pas pris de retard au travail par ma faute » elle offre spontanément. Ebba n'y peut rien, elle a besoin de plaire. Ou du moins, de ne pas décevoir.

En dévisageant la jeune Ebba, Pete se demande quel âge elle a exactement. S’il est certain qu’elle est beaucoup plus jeune que lui, il n’arrive pas pour autant à lui déterminer un âge précis. Est-ce qu’elle est majeure ? Peut-être. Mais tout juste alors. Dans tous les cas, Pete sait que ce qu’il est en train de penser au sujet de la jeune femme est indécent. Peut-être qu’elle arrive à le deviner d’ailleurs puisqu’elle se met à rougir. Oh, sûrement pas. Pete n’est pas vraiment quelqu’un de très expressif. Elle doit simplement être gênée d’être inspecté comme ça. Pete fait durer un peu le plaisir, satisfait de voir les joues de la jeune femme s’empourprer un peu plus à mesure qu’il la regarde. La pauvre. Elle doit déjà regretter d’avoir accepté l’invitation de Pete. Dans tous les cas, il ne la force pas à rester ici en se compagnie. Mais quelque chose laisser penser Pete qu’Ebba est une gentille. Une vraie gentille. Tellement gentille qu’elle n’oserait pas partir de peur de se montrer malpolie alors que Pete ne se gênera pas pour se montrer odieux. « T’es une artiste alors. » Il marque une petite pause. « C’est bien. » qu’il rajoute sans même essayer de se montrer convaincant. En même temps, ça ne l’intéresse pas. La danse, tout ce qui s’approche de près ou de loin à l’art, il préfère laisser ça aux gonzesses et aux tafioles. Pete décroche alors de la conversation et se concentre sur son portable. Il ne relève les yeux que lorsque la petite blondinette lui retourne la question. Alors elle n’a pas fouillé son portable ? A moins qu’elle n’ait pas compris. Ou qu’elle fasse semblant de ne pas savoir. « Je suis avocat. » qu’il finit par dire en laissant son téléphone de côté. Pete n’est pas vraiment un grand bavard, raison pour laquelle il n’apporte aucune précision. Et puis s’il lui explique ce qu’il fait vraiment, elle risque d’être choquée, la petite. « Bien sûr que j’ai pris du retard. » Il gronde presque. Seulement il se rend compte qu’avec cette réponse il risque de voir la blondinette se décomposer et ce n’est pas le but. Il se pince les lèvres et reprend, plus calmement cette fois : « Mais rien que je ne puisse pas rattraper dans les plus brefs délais, ne t’en fais pas. » Voilà qui est largement mieux. Il tente même un sourire. Il ne sait pas vraiment pourquoi il se force à être aussi sympathique –ou à peine supportable pour le commun des mortels- avec la jeune femme. Sûrement pour ses beaux yeux. Oui, voilà : Pete est intéressée par ce qui se passe sous les jupons de la demoiselle. Il se reconnaît bien là. Décidemment, il est incorrigible. Elles sont toujours plus jeunes. La question lui brule les lèvres. Peter décide de ne pas faire pas durer le suspense plus longtemps. « Tu as quel âge ? » Il paraît que ça ne se demande pas à une femme. Enfin, aux vieilles femmes seulement, non ?

Elle n’aurait jamais accepté de grimper dans la voiture de Pete s’il n’avait pas été aussi séduisant, elle décide. Évidemment la réalisation lui laisse les joues un peu plus rouges qu’il ne le faudrait, mais Ebba n’est pas à ça près. Intimidée, elle ne sait que faire face à l’attitude complètement désintéressée de l’avocat. Elle a bien envie de s’excuser et de sortir, mais voilà, ça ne serait pas très gentil et il n’est pas dans les habitudes de la Fitzgerald de s’emporter pour un rien. Elle peut boire un café ici tranquille, la présence de Peter ne l’empêchera certainement pas de profiter de ça. « J’imagine qu’on peut dire ça. » Elle ne se considère pas elle-même comme une artiste. Enfin, pas complètement. Souvent, elle pense qu’on la classe avec les sportifs, un peu, aussi. Et avec les coincés du cul, parce que le ballet c’est une danse de gosses de riches conservateurs qui pètent plus haut que le manche.

La situation est étrange, et la blonde ne sait pas où se mettre. Elle est mal-à-l'aise à la fois à cause du regard de Pete, mais également face à son attitude. Qu'est-ce qu'il veut, au juste ? Il n'a pas vraiment l'air de s'intéresser à ce qu'elle fait dans la vie, ou à qui elle est. Il ne lui a pas demandé son nom, non plus, mais ça il l'a sûrement vu dans son téléphone -s'il s'est donné la peine de regarder. Elle ne sait pas non plus ce qu'il y a vu. A-t-il regardé ses sms, ses photos ? Il a eu pendant près d'une semaine la totalité de sa vie en main, et ça la rend nerveuse. Qu'est-ce qu'il peut bien penser d'elle... ? Probablement rien. Elle se fait trop d'idées, elle le sait. Mais alors, pourquoi est-elle ici avec lui ?

Un peu prise au dépourvu lorsqu'il ne développe pas sur son métier, elle se contente d'acquiescer, avant de garder le silence quelques secondes. Et c'est à ce moment qu'elle bafouille une question complètement stupide, qui visiblement irrite son interlocuteur. Elle qui ne voulait pas déplaire, elle commence bien mal. Mais Pete se reprend rapidement et lui offre même un sourire. Sourire qui ne touche pas ses yeux, Ebba s'en rend bien compte. « Je suis désolée, c'est ma faute. » C'est elle qui l'a percuté au détour d'une rue, et qui s'est empressée de récupérer l'un des deux portables sans vérifier si c'était le bon. La blonde baisse les yeux, fixant une fois de plus le fond de son verre avec une intensité toute nouvelle. Elle se met les pieds dans les plats de A à Z, c'est clair. Et puis arrive la question à laquelle elle ne s'attendait pas, qui lui fait relever les yeux et regarder Pete d'un air inquisiteur. Devrait-elle mentir ? Probablement pas. Il est avocat, il le verrait tout de suite... elle suppose. Et puis elle n'a pas de fausse carte d'identité -pas qu'elle ait quoi que ce soit à lui prouver. « Dix-sept ans. » Et tant pis si ça n'était pas la bonne réponse.