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Dawn J. Baker
Dawn J. Baker
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Emploi : peintre, co-propriétaire du MOCA
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JAWN - crash & burn EmptyJeu 13 Nov - 22:03
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Won't you take me, be my love next door. When you run out I can bring some more. Won't you throw down this heart of mine. And I'll roll out, my stretch of time.

C’était comme si le temps s’était arrêté. Ou qu’il n’avait jamais vraiment recommencé. Existé.

Je traçais au stylo, distraite, voyant les gens passer et parfois même miraculeusement s’immobiliser devant la vitrine de la galerie. Une belle journée, des tons de bleu, de jaune, de vert. Une touche, mince, fine, d’orangé qui sillonnait la rue, un gamin qui voguait d’un parent à l’autre, cherchant l’approbation de la mère alors qu’il grimpait sur la rambarde et qu’il faisait la course avec lui-même, avec les inconnus. Je souris en le voyant glisser derrière son paternel, se cacher la tête sous sa veste, puis tituber alors que l’homme s’immobilisait, hilare. Si Max n’était pas passé près d’eux à cet instant là, s’il ne m’avait pas fait signe de venir le rejoindre dans la salle de montre, je me serais plu à les regarder encore quelques minutes. À ne faire que ça de la matinée, même. Mes doigts fins finirent de dessiner à main levée les traits du bambin qui appuyait maintenant son nez dans la baie vitrée, qui me tirait la langue au passage et à qui je répondis d’un froncement de nez amusé. Il était doux, le temps d’avant. Celui où je me dissimulais à la bibliothèque du quartier, où je regardais les grandes personnes en m’émerveillant de leurs rouges à lèvres carmin, de leurs longs cils, de leurs cheveux grisonnants, de rien d’autre. Où je faisais semblant de lire des pages et des pages sans comprendre les mots, où je glissais mon index sur l’encre et le papier, alors que mes oreilles étaient tendues dans leur direction. À écouter les adultes, à vouloir faire comme eux, parler comme ils le faisaient. Le garçon rejoint ses parents et l’orangé clair de sa veste se dissipa parmi la foule de costards noirs et gris, du pareil au même. Eux, je ne les aurais jamais imité. Rudes, brusques, vils. Ils me rappelaient le mauvais New York, ils me rappelaient les friqués qui entraient ici avec la mallette remplie, avec le regard distant, qui préféraient détailler les prix et aller au plus haut, ou détailler mes courbes et aller au plus bas. Ils me répugnaient dans leur prétention, dans leurs opinions, dans leurs stéréotypes, mais surtout dans leur sérieux. Leurs rides, leur absence de sourire. Max m’appela de nouveau et je réalisai que mes gribouillis innocents au départ avaient maintenant pris de l’ampleur et s’étendaient jusqu’au dossier de financement d’un futur acheteur. « Oh… » que je soupirai, défaite, remarquant au passage que ma main gauche était elle aussi tâchée d’encre.

La galerie était gorgée de lumière à cette heure-ci, le parquet reflétait à merveille la vue impressionnante qu’on avait à travers les vitres. Le skyline se dessinait parfois clair, parfois abstrait, et je m’étonnais toujours de voir la courbe que la ville pouvait avoir sous nos pieds lorsqu’on prenait le temps de s’y arrêter, de la remarquer. Je rejoignis d’un pas rapide Maxence, le bruit de mes chaussures claquant sur le bois vernis, et il me fit signe de passer derrière lui pour maintenir la porte de la réserve bien ouverte. « Reste là Dawn, j’en ai que pour quelques secondes, le temps de sortir les toiles. » Je souris, me postant dans le cadre, observant cet ancien enseignant de la New York Academy of Art qui s’était laissé charmer par la ville des anges, par un ange en particulier. Albane, une amie d'abord, une partenaire d'affaires ensuite. Ils s’étaient rencontrés dans un bar de New York alors que l'inspirante blonde s'était jointe à nous autour d'un verre, et un an après, Max avait tout fichu en l’air pour la retrouver à L.A., la tête pleine de projets. Sans savoir dans quoi il s’embarquait. Ils ne s’étaient plus lâchés depuis, poursuivant leur amour du beau du mieux qu’ils pouvaient en rachetant une galerie et en la mettant à leur goût. Contemporaine, décalée, revendicatrice, puriste. Je m’y plaisais, d’autant plus entourée de ces deux âmes amoureuses, passionnées. Max revint vers moi, les canevas sous le bras, et je m’affairai à repasser vite fait en revue ce qui restait à exposer avant le changement de saison. La galerie recevait à chaque mois une nouvelle série de toiles à afficher sur ses murs, variant les styles, les artistes, les visions. On s’efforçait de faire une belle place aux peintres de la nouvelle génération, laissant les académiciens aux musées pour la plupart. Ils avaient une idée trop conçue, trop stricte pour aller avec l’allure moderne de l’endroit. Des murs blancs, des planchers immaculés, beaucoup de verre et une immense sculpture de toutes les couleurs d’un artiste local prenant le hall d’entrée d’assaut. Délicatement, je me faufilai à travers les œuvres, les passant une à une en revue. Renoir avait déjà dit – du moins, c’était ce que le prof d’impressionnisme avait souligné – qu’il fallait que les jeunes gens s’habituent à voir par eux-mêmes et sans demander avis. Parce que chaque artiste avait une vision différente, et que s’arrêter à l’analyser, et à l’imposer, limitait beaucoup. Limiter. Je frissonnai en posant mes iris sur une oeuvre que je n’avais encore jamais remarquée, une toile simple, presque vide, faisant office de support avec un mélange de texture et de motifs abstraits. Pour certains, ç’aurait été un ramassis d’idées entremêlées. Pour d’autres, une façon de se moquer de l’art en général. Et pour moi, ça restait un mystère. Je n’avais pas besoin de tout vous dire tout de suite non plus, n’est-ce pas?

« Hey l’artiste, tu préfères que La Blanche soit face au nord, ou au sud? »

Toujours distraite, toujours ailleurs. Je sortis de mon isolement et vint le retrouver.

« Nord. Ce sera plus doux à l’arrivée. »

Maxence s’exécuta avant de me rejoindre et de passer son bras autour de mes épaules. Fier comme un père, ou du moins, comme j’aurais aimé voir le mien l’être, il tourna son visage bienveillant dans ma direction, embrassa ma tempe. Je levai le menton vers lui, empreinte à vivre toute une gamme d’émotions jusqu’à l’heure fatidique. « Ce soir, c’est toi la vedette. Enfin. »

J’inspirai profondément avant d’oser détailler des prunelles la toile qui ornait maintenant le mur face à nous. Ma toile, Ma Blanche.

« Je suis tellement désolé de ne pas pouvoir être là ce soir, sweetie. » Cinq heures plus tard. Cinq heures qui avaient filé comme cinq secondes. Aidan avait la voix entrecoupée par les ondes traîtresses du métro, ou de l’avion, ou du train je ne savais plus, mais avait tout de même tenu à me téléphoner avant que le vernissage débute. Avenant, il m’avait d'abord envoyé un texto, validant que j’étais disposée à lui parler un brin avant que la folie m'accapare. Parfois, je me demandais ce que j’avais bien pu faire pour mériter un homme de sa trempe. Trop gentil, trop parfait. Trop. « Je comprends, ça va, y’a pas de problème du tout. Je t’enverrai des photos, ce sera comme si tu étais avec moi. » Je sourie, et l’entendis rire à l’autre bout du fil. « As-tu reçu les fleurs? » Une douzaine de roses rouges seyantes prenaient place à mon bureau, disposées dans un vase de cristal que Max gardait pour les grandes occasions. Je me penchai vers elles, prenant le temps de fermer les yeux et d’humer leur parfum. Doux, fruité. « Elles sont magnifiques. Merci, Aidan. Merci beaucoup. » La porte de la galerie teinta, je levai la tête pour y voir des réguliers passer, me saluer du revers de la main, et filer rejoindre mon patron et ami un peu plus loin. « C’est toi qui est magnifique, sweetie. » Je rougis, comme les pétales qui venaient de tomber sur le combiné. « Je dois te laisser, l’exposition va débuter d’une minute à l’autre. » Silence. Pourquoi est-ce que c’était si difficile, parfois? « Je t’aime. » que je m’entendis souffler. Lorsqu’il était là, lorsque ses bras m’enlaçaient, lorsqu’il posait ses yeux amoureux sur moi, là, je le ressentais. Cette chaleur, cette sensation réconfortante, ce bonheur. Mais une fois que je passais la porte, que mon regard le perdait, qu’il était ailleurs, distant, je perdais le fil. Je le perdais aussi, un peu. Beaucoup. « Je t’aime aussi. »

Ma robe marine me valu les compliments de Max et des invités déjà arrivés. Fallait savoir qu’habituellement, j’étais très peu portée sur la mode en général. Je me contentais de grands t-shirts, de collants, de vestes de laine, de jeans déchirés. J’étais toujours à salir mes vêtements, à barioler ma peau, de toute façon. Mais ce soir, j’avais fait un effort. Un autre, Après de nombreuses semaines où Maxence et Albane avaient insistés, j’avais enfin accepté d’afficher certaines de mes toiles le temps de quelques jours. Juste pour voir. Chacune d’entre elles siégeant maintenant autour de moi, se laissant détailler des yeux par une salle qui se remplissait lentement mais surement, je pouvais enfin souffler. Ou pas. Mes mains tremblaient lorsqu’on me tendit une coupe de vin blanc, et mes jambes. Mes jambes, elles, elles claquaient littéralement. Artie Shaw en trame sonore cachait avec grâce les tiquements de mes genoux l’un contre l’autre, et je le remerciai de l’au-delà avec toute l’énergie qui me restait. Ma soirée, mes œuvres. Les jugements des autres, surtout. Tentant de sourire malgré les murmures qui s’avéraient de plus en plus bruyants, surtout autour de La Rouge et de La Mauve, je bifurquai vers La Jaune, plus calme, plus douce. Oui, j’étais en retrait, bien loin de la porte et de la salle qui vaguement semblait se vider de son air pour se remplir de suite, mais ça allait. L’artiste avait besoin de sa bulle. C’était l’excuse que j’utilisais parfois, avec les autres. Ce soir, j’en abuserais.

S'il avait été là, il aurait ri, il l'aurait su... je me stoppai, interdite. Je n'avais pas le droit, pas le droit de penser à lui. Pas comme ça. Pas maintenant.
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JAWN - crash & burn EmptyJeu 13 Nov - 22:04
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Won't you take me, be my love next door. When you run out I can bring some more. Won't you throw down this heart of mine. And I'll roll out, my stretch of time.


Los Angeles. Je voyais des rêves, des destins, je voyais l'Hollywood des années cinquante, je voyais Peck et Hepburn bras dessus-dessous à la sortie d'un café aux dernières heures du soir, James Dean qui se faufilait par une fenêtre du Château Marmont, une glorieuse Taylor y louer le penthouse pour un Clift amoché, je voyais des premières étoiles se poser sur un boulevard et des premiers noms les illuminer. Je voyais un mythe, des légendes, des paillettes, mais pas seulement ; je voyais le horse track d'un Bukowski et la boîte de jazz d'un Nat King Cole, des désillusions, des gangsters et des accidents de Ford Sedan et Porsche Spyder à la pelle. J'y avais pensé, parfois, souvent, jamais, j'y avais pensé à la fin d'un vieux film, entre deux songes d'ailleurs, en grattant une feuille de papier, en lisant celle d'autre, d'un autre. Los Angeles. J'y étais. Et qu'est-ce que j'y avais vu ?

Trois fastfood, un triste parking derrière les rideaux vert douteux d'un motel et un corps titubant, malodorant, qui vous agitait sa pancarte et son gobelet sous le nez à chaque fois que vous passiez le coin de l'allée. Kick me in the nuts for $20 ; au revoir, Bogart, Grant, Fonda, voici l'homme qui ameutait les foules nouvelles. Dickie, de son petit nom - il l'avait susurré à Jane, rapide, libidineux, alors qu'elle traînait cinq pas derrière, et les intonations de sa voix avaient suffi à me convaincre de ralentir un peu le rythme et de me soucier de chaque caillou qu'elle trouvait fabuleux plutôt que de tracer devant. Voilà ce que j'avais vu, les QG du crasseux culte à la Friture,  des allées et venues sur le bitume en talons aiguilles entre des voitures qui ralentissaient remarquablement à la tombée de la nuit et un futur marié, au gage stupide et au vice probant. Ça, et ce quartier. Là-bas, sur la côte, aux maisons bien gardées et bien fleuries, aux allées tracées au compas et aux piscines, systématiques et toujours couvertes, aux vivants bedonnants et aux servants amaigris. Quatre jours, quatre jours déjà que nous sautions dans un bus qui n'avait que faire des talons aiguilles du bitume, quatre jours que nous parcourions le bas Los Angeles d'est en ouest pour redescendre dans un coin où les couleurs ne sont pas que grises et noires, quatre jours que nous marchions encore ce qu'il fallait pour rejoindre les beaux quartiers où l'ont ne veut pas voir passer la Rolls Royce du pauvre et son chauffeur qui ne vous fait pas la moindre courbette. Quatre jours, quatre jours que nous nous rendions jusque là, jusqu'au 307 de la Mount Holyoke Avenue, qu'on s'arrêtait, quelques secondes, une poignée de minutes, silencieux et curieuse, et qu'on repartait, pressé et perdue. Un rideau qui bouge, un voisin qui tourne la tête, une voiture qui ralentit, c'est tout ce qu'il me fallait pour repousser au lendemain la montée des quelques marches qui nous mèneraient au perron et à la sonnette, à la porte, au petit buddha à côté, à sa tante, à sa nouvelle vie et à mon ancienne. Quatre jours, quatre jours que nous repartions vers le bas de la route, quatre jours que Jane tirait sur ma main pour me dire qu'on s'était déjà promené là la veille et que je détournais le regard pour lui répondre que tout se ressemblait en Californie.

« J'ai faim. » Retour sur le triste parking derrière les rideaux d'un vert douteux. Je tourne la tête, décroche mes iris des carreaux et l'enseigne du motel plus lumineuse que toutes ses chambres réunies; l'empreinte des lettres reste sur ma rétine et me donne raison tandis que je cherche ma fille du regard. Je la repère rapidement, là, dans le coin (en même temps, dans une piaule de 8 mètres carrés, il aurait été surprenant de manquer sa petite silhouette, même pour moi) en train de caresser Hemingway, le chat amorphe, endormi, ronflant, insensible aux sirènes que l'on entendait passer tous les quarts d'heure, comme à des années-lumière de la réalité - compte tenu du prix qu'avaient coûté les croquettes que la petite avait insisté pour que l'on achète, j'osais me plaire à penser qu'un ingrédient mystère ou deux rejoignaient la composition et lui permettait de planer la moindre, une transe astrale, une excursion psychique... Merde, moi aussi j'avais faim, mon esprit engourdi me le rappelle et me renvoie aux crampes de mon estomac.  J'avais faim, oui, mais il y avait une bouteille, là-bas, entre la gamelle vide du chat et cet ours en peluche au foutu nom que j'étais incapable de retenir, et aux vues des lignes qui peinent à se former sur la feuille de papier sous mes doigts, je savais que me contenter de ça était la meilleure option qui s'offrait à moi. Mais mes yeux se posent sur Jane, sur son profil, sur sa moue cafardeuse et ses doigts las qui parcourent le pelage du petit félin, et je me rends compte que sa complainte ne s'adressait même plus à moi, qu'elle n'avait sans doute plus même envie d'attirer mon attention, de provoquer une réaction moindrement censée. Elle ne me regarde pas mais elle est déçue, terriblement, elle devait s'attendre à autre chose, à mieux. Oh, elle aurait droit à mieux, c'est certain, inévitable, elle aurait droit aux allées tracées aux compas, aux maisons bien fleuries et au petit buddha à côté de la porte du 307, Avenue Mount Holyoke, dès que j'aurai cessé d'être le pauvre mec qui cherche du regard de quoi nourrir sa fille dans une chambre de motel pourrie. Il suffisait que j'étouffe mon anxiété, mon appréhension, que je mette de côté cet agressif, vil sentiment de culpabilité à l'égard  d'une Julia qui avait murmuré ce nom et cette adresse à contre le peu de coeur qui lui restait encore, à l'égard d'une Jane qui, non, ne se fonderait pas dans le décor des vivants bedonnant et des servants amaigris, à mon égard à moi, aussi. Mais ça, ça serait pour demain.

Ou le jour d'après.

Poussant plus loin un brouillon qui ne veut pas s'écrire et reposant une plume sèche à ses côtés, je me redresse, je me saisis de la veste qui gît au pied du lit et je file vers la porte, fuyant du regard la mine fermée et boudeuse de la petite. « Reste là, je reviens vite. » Silence.  La poignée se tourne sous mes doigts et je quitte la chambre la seconde qui suit. Je n'en attendais pas moins. En quoi ma présence pourrait changer quoi que ce soit pour elle, sachant qu'elle n'a jamais été que partielle ? Et puis, elle ne risquait rien. En ce moment, Dickie devait être en train de parcourir une haie d'honneur, arrosé d'une pluie de confettis taillés en forme de coeur et, plus tard, il serait trop occupé à expliquer pourquoi diable ses couilles sont bleues à sa nouvelle moitié. Et, sinon lui, je ne voyais pas d'autres dangers pour l'enfant, ou du moins, dans mon déni, je partais confiant. Le même déni où je noie le lourd regard que je sens dans mon dos quand, dupé, agacé et surtout lessivé, je recule de trois pas et balance mon porte-feuilles contre le distributeur de sandwichs du hall d'entrée qui refuse de fonctionner avec une rage mal défendable. Le - maigre - morceau de toile ramassé, j'admets par un bonjour vague l'existence du gaillard trapu à la mâchoire proéminente et casquette visée sur le crâne, concierge, gérant, réceptionniste et entremetteur du motel, qui se tient derrière le comptoir devant lequel je trace mon chemin, pressé d'échapper à son champ de vision et ses airs toujours si accusateurs - j'avais mon quota de reproches tacites pour la soirée.



Un quart d'heure plus tard, le scintillement moyen de l'enseigne du motel a cédé sa place à celui des menus d'un grand nom du café. Je visais plus consistant, tant qu'à taper dans le capitalisme, mais figurez-vous que les trois fastfood que j'ai vu et revu ces quatre derniers jours se sont volatilisés. Comme ça, en un clin d'oeil. Mauvaise foi ? Non. J'avais eu le choix de marcher jusqu'à l'épicerie de l'angle, mais je ne l'avais pas pris, partant dans le sens opposé, celui qu'on empruntait tous les matins, Jane et moi. Si cela devait être la dernière fois qu'elle me réclamait de quoi palier à une famine menaçante, j'avais envie de la voir sourire, comme elle le faisait quand elle ralentissait à l'abord de la statue du clown qui me poussait plutôt à changer de trottoir, plutôt que discerner une grimace circonspecte au déballage d'un morceau de pain qui n'était pas de mie et de trois feuilles de salade qui ne baignaient pas dans la sauce. J'étais parti avec de bonnes intentions, alors, non, je n'avais pas été aveuglé par ma mauvaise foi. Un coup du karma qui m'aurait fait payer mon infamie avant même que j'aie eu le temps de la commettre ? Un coup d'oeil sur les pâtisseries sur le présentoir, à côté de la caisse, m'inspirait clairement qu'un Starbucks ne valait pas mieux qu'un McDonald. J'allais me lancer dans un listing du pourquoi et du comment et de toutes les raisons qui m'avaient amené à ne pas savoir quoi répondre quand le barista m'avait demandé si je voulais un supplément graisses saturées ou whatever the fuck it was, mais mon regard croche un feuillet, sur le comptoir. « Et vous prendrez quelque chose à manger avec ça ? » J'hoche machinalement de la tête, désigne n'importe quoi d'un doigt pendant que, d'un autre, je parcoure les mots du feuillet, vernissage, la date du jour, une adresse, un galerie - une image. Je décrypte les couleurs qui sont mal sorties, les traits, les formes. Le style est là, il permet à l'employé de profiter de mon absence pour me faire acquiescer à chaque pâtisserie qu'il s'empresse de me fourguer, ce style, son style. (Je dis oui à un bagel au saumon- je crois).  Oh, bien sûr, c'était dans l'ère du temps. Connu, vu, chez un artiste ou l'autre. Expérimenté, spécialisé, tenté. Ca n'avait rien d'unique, elle non plus. (Un roulé à la cannelle ? Un roulé à la cannelle.) Un an que j'essaye de m'en convaincre.  (Des scones ? Evidemment.) Et d'échouer, lamentablement, mais de persister, pour que je puisse l'oublier, un jour ou l'autre, pour que je me réveille un matin, et ça aille bien. Mieux.

Mais tout ce que je réussis à oublier, là, maintenant, c'est ce thé, ce frappé aux graisses saturées, une collation aléatoire, ce bagel au saumon, ce roulé à la cannelle et ces quatre scones, au bout du comptoir, juste après avoir réglé ma commande et demandé entre deux à l'employé du mois s'il s'avait où se trouvait l'adresse estampillée sur le feuillet.



Je longe la façade de la galerie sans jeter un regard au nom de l'affiche placardée devant, la même qu'au café, plus grande, plus complète. Je tomberai sur un artiste qui n'est pas Dawn, qui s'avérera quelconque, et qui ne m'intéressera pas, alors, à quoi bon connaître son nom. Je l'oublierais tout aussi vite, juste obnubilé par les souvenirs que son coup de pinceau aura fait remontés, et par ma connerie de m'être éloigné un peu plus encore du motel, de Jane et de sa faim, pour rien. En revanche, je ne peux que remarquer la sculpture du hall, dès que j'ai passé les portes de l'entrée, imposante, colorée, imagée - je me rends compte, en un instant, qu'il y a un bon moment que je n'ai pas mis les pieds dans un tel endroit. Et, au fur et à mesure que j'avance, que ça m'avait manqué, en quelque sorte. Les gens sont déjà nombreux - ça, je m'en serais passé. Je m'en étais toujours passé, remarquablement. Mais ils ne formaient pas une foule comme une autre, ils étaient là pour ça, pour un vernissage, pour un art ou un autre, et j'aimais, instinctivement, l'ambiance du lieu. Et puis... et puis, les toiles. Je m'en balance, de l'ambiance. « Une boisson, monsieur ? » Je les cherche, toutes, les devine entre les personnes qui font face à ces murs hauts, clairs. Un non merci glissé au serveur qui s'est arrêté vers moi, je finis par faire trois pas, incertain, vers l'un des attroupements qui se dissout, un instant plus tard, et me laisse face à la toile de l'image, du feuillet. Je ne m'attarde pas plus sur le style; non, je baisse les yeux, directement, et cherche la signature, et surtout, surtout, le trait de couleur qui la soulignera. J'oublie le reste, le bruit, les visiteurs, et je me souviens du reste.


***

La fenêtre donne sur le pont de Brooklyn. Enfin, là-bas, flou, entre les deux immeubles décrépis, juste au-dessus des deux silhouettes qui sont en train de se bagarrer à côté du stand de journaux. Brooklyn. Un cri. Je le connais. C'est celui qui précède le charivari d'une pile de casseroles qui tombent, l'éclat de verre brisé partout au sol, dans ses doigts, l'odeur du désinfectant toujours à portée de main, la chaleur d'un réconfort moins aseptisé. Je détourne mes prunelles du type qui achève son adversaire d'un coup de grâce au Times, je repousse l'ordinateur où mes doigts courraient, inspirés, inspiré, et je me lève du fauteuil où j'ai passé les deux dernières heures. J'enjambe les tas de bouquins et de fringues, me fraie un chemin jusqu'à l'atelier, sans me presser. Une catastrophe parmi d'autres. Dawn.  Mauvais enchaînement ? mauvais enchaînement. Elle n'est pas une catastrophe, même avachie par terre, la tête entre ses mains, contre ses genoux, son pinceau contre sa joue, ses cheveux, négligemment. Non, la rousse - et un peu violette, en ce moment précis - n'est pas une catastrophe. Par contre, elle les attire. Elle les provoque. Remarquablement. Mais là, je balaie la pièce, encore et encore, et je ne remarque rien. « Il y a un truc qui est sur le point d'exploser ? » Je lance ça, rieur, mais je refais le tour des tuyaux qui dépassent çà et là, un picotement dans la gorge quand même- hey, c'est Dawn. Ca ne m'empêche pas de m'asseoir à côté d'elle, de glisser une main dans son dos et de lui ôter de l'autre son pinceau avant que la teinture ne s'étale sur plus de mèches que de raison. Violet. Je lève les yeux vers la toile, même si je n'ai pas le droit; mon exil dans la chambre avait bien une raison. J'écrivais mieux ici, vers elle. Je me souviens pourquoi quand je parcoure ses couleurs, ses traits, ses formes. Et, quand j'arrive à sa signature, elle se redresse et son bras se tend devant nous, avant que j'ai eu le temps de réagir. « Il restait du rouge sur ma palette. » Je fais le lien entre la trace de couleur qui recouvre une partie de son nom et celle qui colorie la tranche de sa main, entre les petites heures du matin et la fraîcheur de la peinture qu'elle n'a pas pu sentir sur sa peau, glaçon d'artiste, mais, non, j'ai beau navigué entre celle-ci et la bavure sur la toile, là, je ne fais pas le lien.  « Et alors ? » J'effleure la peinture sur sa peau, joue de la matière entre mes doigts, rougis le bout des oreilles du lapin qui passe par là, l'arcade de mon nez, et je me tourne vers elle- non, elle, elle s'est déjà chargée de poser ses propres peintures de guerre. J'amorce un sourire devant son teint coloré, hausse les épaules face à son air défait. « C'est joli, et puis, c'est unique. Tu n'auras qu'à dire que ça évoque ce que tu as ressenti quand tu l'as terminée. » Ses prunelles décrochent des miennes et elle reporte une attention que je veux nouvelle sur son erreur qui, clairement, ne méritait ni ce terme, ni cette mine déconfite. J'attends qu'elle s'efface, ma main trace de lents allés et retours le long de son échine, et je finis par me rapprocher d'elle, mutin.  « C'est la couleur de quoi, déjà, le rouge ? »

***

C'est joli, et puis, c'est unique. Le brouhaha alentour repart et mon coeur s'arrête, une seconde. J'observe la tache, irrégulière, plus fine, une peinture grise, légère, bien loin des couleurs de Baker, mais je n'ai pas besoin de déchiffrer les lettres qui la surplombent pour savoir que, bien sûr, c'est son nom qui y apparaît, tout comme, plus tôt, je savais pertinemment que les grosses lettres placardées à l'entrée étaient les siennes. Dawn. Je relève la tête, la tourne vers la sortie. Il fallait que je parte, il fallait que je sois ailleurs, partout mais pas ici. Parce que je n'en avais pas envie. Parce que, si, j'en crevais d'envie. Mais je n'avais pas le droit de me tenir là. J'ai longtemps cru que, si, justement, je l'avais. Mais non, je ne l'avais plus, je ne l'avais pas, et c'est pour ça qu'il fallait que je parte.

Et c'est pour ça que j'ai rattrapé le serveur, fébrile, que j'ai saisi une coupe et que je me suis fondu dans la première discussion avoisinante, un coup d'oeil rapide sur l'assemblée, discret, et plus long sur la toile, une mauve. Dawn. J'entends un toast se murmurer au-dessus du tumulte des discussions posées et mesurées auxquelles je fais mine de faire part, j'entends aussi un mais où est-ce qu'elle est passée ? se détacher du lot, des lèvres d'un individu qui me frôle et que je reconnais, vaguement, du passé. Un sourire se glisse au coin de mes lèvres. Classique. Dawn. Et puis, il en disparaît, aussi vite qu'il y est apparu, et je recule d'un pas, m'arrache à la conversation à laquelle, de toute manière, je ne participais pas. Mon regard s'est posé là-bas, dans le coin, après un nouveau mouvement de corps vers la gauche, la droite.  Une silhouette, un peu à l'écart, bleu marine. Rouge feu. Une silhouette qui me rappelle que je ne devrais pas être là, que j'en avais pas le droit. Que je l'aurais voulu, mais qu'elle, non.

Merde.  Dawn.

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Won't you take me, be my love next door. When you run out I can bring some more. Won't you throw down this heart of mine. And I'll roll out, my stretch of time.

Mais je ne pouvais pas ne pas penser à lui. Je pensais toujours à lui, et jamais. Je me l’interdisais, je me surprenais, je me réprimandais, je recommençais. Il était tout et rien, comme il l’avait toujours été. Il était l’inspiration, puis la destruction. Il avait occasionné une transition sans le vouloir à bon nombre de toiles dans l’atelier, de passer de belles à hideuses, ou d’hideuses à belles à l’inverse. Il était silence, il était bruit. Il était là, mais surtout, il était absent.

Je fermai les yeux, laissant échapper un souffle doux, presque inaudible, qui me fit l’effet d’une dose de chaleur inouïe, apaisante, parcourant mon corps des pieds à la tête. J’imaginai des points de lumière se colorer un à un au fil de mon expiration qui se calmait, et malgré le fait que je devais sembler tout sauf robuste à cet instant, je retrouvais le peu de contenance que j’avais perdue dès l’instant où j’avais dit oui à Max, et à Albane. Où mon rêve de voir mes œuvres exposées à la galerie s’était matérialisé, où j’avais douté beaucoup et longtemps, où finalement, j’avais pris la décision de relancer, d’accepter, d’aller de l’avant. Je finissais toujours par faire le pas qu’il fallait, mais je prenais mon temps. Je me le devais, pour m’être prise au piège à de nombreuses fois, éternelle trouillarde que j’étais. La main appuyée sur le ventre, j’ouvris un œil puis un autre. Des visages connus, d’autres que je remarquais pour la première fois. Un attroupement devant l’une de mes toiles, devant toutes mes toiles, des bribes, des rires, des questions. Des lunettes glissées sur le bout d’un nez, des mains dans les poches. Un serveur qui slalomait entre tout ce beau monde, qui s’arrêtait, qui tendait le plateau de bouchées, qui alternait en versant du vin, encore du vin. Je me souvins de la coupe que j’avais moi-même prise, la portai à mes lèvres et l’y déposai le temps de les imprégner d’une goutte ou deux. Je n’avais pas envie de boire, je n’avais pas envie de m’enivrer, de sentir mes joues rosir, de rire à des blagues que je n’écouterais pas, que je ne comprendrais pas. Ma maigre et insignifiante vie se retrouvait étalée sur des canevas un peu partout autour de moi, et même si elle était belle du bout de mon pinceau, et même si j’y avais éparpillé des souvenirs, doux, heureux, merveilleux, j’en doutais à toutes les secondes. Quel calvaire de demander à un peintre de rester présent lors de son vernissage, non? De le filer à l’écart, de le laisser observer les réactions, écouter d’une oreille attentive les discussions? L’un commence à tenter d’analyser la Rouge, sortant des tas de trucs faux que je rayai de ma tête comme si j’allais arriver à les rayer de la sienne. Non, il ne s’agissait pas de la sexualité de l’artiste étalée à qui voulait l’entendre. Non, il ne s’agissait pas de lacunes parentales quelconques desquelles l’artiste avait dû se sortir. Non il ne s’agissait pas de…

La Blanche, pure, immaculée. Par chance, mes iris quittèrent la tête blonde, échevelée, qui prenait trop de temps à juger sans un mot mes choix de couleur, ma palette, ma vie en entier. J’avais mal à l’âme de la voir divisée partout et nul part, mais la Blanche. Ma Blanche. Encore. Belle, simple, douce. C’était là que tout avait commencé. C’était elle qui avait tout lancé, un soir, minuit, alors que je n’arrivais pas à trouver le sommeil. Alors que des bras m’entouraient, que ma tête tournait, que mon cœur haletait. Je m’étais glissée hors du lit, j’avais passé autour de mes épaules une couverture de laine tricotée l’hiver dernier et ramassée à la volée comme les quelques souvenirs de mon autre vie, et j’étais sortie. J’avais allumé la lumière de l’atelier, une corde grinçante tombant du plafond, là où je pouvais être, seule, libre. Et j’étais repassée sur tous mes croquis, sur une boîte en entier, à la recherche de celui qui m’obsédait depuis des jours – et des nuits – déjà. Celui tout pressé que j’avais tracé à la sortie d’un bus, une idée comme ça, une fois le silence englobant l’appartement, une fois seule avec mes crayons. Avec moi-même. Je le cherchais encore même si je savais exactement où il se trouvait, et j’avais repoussé ce moment toujours et finalement, sachant ce qu’il signifiait. Mes mains tremblantes l’avaient vite trouvé, retrouvé. On aurait pu croire à la va vite qu’il s’agissait d’un décalque, d’une étude de proportion, d’un croquis sans signification aucune, sans âme, sans suite. Mais non.

J’avais porté la feuille jaunie, fatiguée comme moi, à mes yeux et j’avais souris. Eu mal aussi, mais c’était devenu commun, une partie de moi qui souffrait encore et toujours. Qui se rappelait, surtout. N’était-ce pas un trait des créatifs de ressasser la douleur pour mieux la partager... Soupir.

Du bout des doigts j’avais tracé les lignes fines qui commençaient à disparaître. Absorbée, j’étais restée là plusieurs minutes, plusieurs heures, muette. Des traits, des yeux, un sourire. Un visage.

Son visage.

***
PORTSMOUTH – 2008

Des visages. Inconnus, que je voulais connaître depuis longtemps, que j’oublierais pour toujours.

Je me rappelais encore ma toute première journée au Buckeye Dairy. J’avais passé mon tablier, salué Penny, servi quatre cocas, refusé les avances de Mark, changé à trois fois la sélection musicale. J’étais serveuse puis caissière, psychologue puis amie. J’avais croisé tout au plus la moitié du village, additionnée aux touristes, aux chauffards et aux autres surprises qui entraient pour ne plus jamais revenir ou pour repasser le jour d’après. Je m’étais habituée aux salutations de toujours, aux au revoir improvisés. J’apprenais à sortir de ma coquille, à rire, à écouter, à parler aussi. Je découvrais une partie du monde qui me plaisait, une autre qui m’ennuyait. Qui m’effrayait aussi. Puis y’avait eu cette mère éparpillée, Abby, qui bossait le quart de nuit. Et Gabriel, 3 ans, son fils issu d’une histoire ou d’une autre, d’un mari militaire je crois. Le gamin traînait dans la cuisine quand elle m’apprit à entrer les commandes sur la caisse enregistreuse. Patiente, malgré mon silence et mes mille erreurs d’inattention, elle avait été sympa et m’avait fait passer de la salle à la réserve, du comptoir aux banquettes. Gabriel, routinier, grignotait toujours et en silence un sandwich au fromage grillé quand j’allais respirer un brin dans la cours arrière du dinner, et la première fois où on s'y était croisés, il m’avait tendu son repas du bout de ses petits bras potelés. J’avais refusé, l’estomac dans les talons, et il s’était contenté d’ajouter un « Journée nulle si tu manges pas. » probablement piqué à sa mère qui voulait s’assurer de garder toujours son petit homme bien nourri. Haussement d’épaules, sourire en coin, bouchée prise à la volée et il souriait, m’entraînant à l’intérieur du restaurant. Je l’avais suivi des yeux ensuite toute la matinée. Et à chacune de ses visites. Petit loup perdu qui rôdait entre les clients, qui les observait, qui leur glissait quelques mots même. Comment un enfant aussi jeune pouvait être plus sociable, et plus à l’aise que moi qui avait déjà presque 20 ans à tenter de faire pareil? Mais j’avais pas l’envie, pas la motivation, pas l’énergie pour m’y mettre et m’ouvrir. De toute façon, si j’avais réussi à avancer dans la vie en limitant mes interactions avec les autres, je pouvais très bien continuer dans le même sens. Puis évidemment, ça avait changé.

« Ta journée sera nulle si tu manges rien. » Les yeux ronds, bleus, brillants, posés par-dessus l’épaule de l’inconnu. Qui fixaient ce sur quoi l’autre gribouillait depuis de longues minutes déjà. Moi, je m’occupais de compter les derniers dollars restant avant de passer la caisse et le carnet de commandes et d’aller m’enfermer dans ma chambre à peindre. Ou peut-être que j’irais déjeuner le long du canal aujourd’hui tiens, il faisait soleil. La voix de Gabriel résonnait encore dans le resto même deux ans après que je l’ai rencontré. Et comme à son habitude, il avait pris à cœur de valider les habitudes alimentaires des clients. Je souris même, éclat de rire distrait, en imaginant sa tête brune ébouriffée qui devait rester immobile en attendant que l’homme sur lequel il avait jeté son dévolu cède à sa requête et commande un truc en plus de son café noir, et du journal. Et alors que j’allais tout fermer et laisser Gabriel jouer les nutritionnistes, je sentis quelque chose, une chaleur, une impression, un questionnement. Instinctivement, comme si c’était ce que je devais faire depuis le début, je levai la tête. Et mes prunelles se vrillèrent tout de suite à celles qui me cherchaient. Celles que je cherchais aussi, d’une certaine façon. « Je prendrai une part du dessert du jour dans ce cas-là. » qu’il lâcha, toujours à soutenir mon regard, alors que le gamin souriait de toutes ses dents – il lui en manquait deux au total.  

Un visage. Inconnu, que je voulais oublier depuis longtemps, que je connaîtrais pour toujours.

***

La Blanche, pure, immaculée. Ce n’était pas le hasard qui avait fait que j’avais demandé à Max de l’afficher près de l’entrée. C’était le début, de tout. Un visage sur toile blanche, couronnée de traits de toutes les couleurs, pastel entremêlé, qui l'entouraient. Des traits qu’on ne reconnaissait pas de suite, qu’on pouvait approprier à tout et à n’importe qui. Un visage inconnu, parfait, un visage sombre, que personne ne retracerait vraiment. Un visage parmi tant d’autres, le sien, celui de l'homme au fond à droite, celui du gardien de sécurité en diagonale qui parlait à sa manche. Le mien aussi, au lycée, à la petite école. Celui de Gabriel, d’Abby, d'Albane un peu, de Max, d’Aidan, de Sio. Des lignes, des ratures, des détails, une évidence quand on s’approche.

Un visage qu’on observe, qu’on juge, qu’on aime, qu’on déteste.

***

NEW YORK – 2011

Je sentais l'attention dévier sur nous, encore et encore, même si New York m’apparaissait à la base comme une ville froide, sans âme. On y croisait des inconnus à la tonne, on était bombardés, entourés, étouffés à chaque nouvelle sortie, à chaque nouveau coin de rue. On vivait un bain de foule constant, mais malgré tous ces visages similaires, tous ces yeux fuyants, tous ces sourires forcés, on arrivait à peine à se faire des amis, à connaître et à se reconnaître. Jack avait toujours été un peu plus sociable que moi, plus près des gens, parce qu’ayant l’intérêt de dépeindre leurs vies passées au filtre dans ses écrits. Mais moi, je les laissais peu, très peu m’approcher. Limitative, peureuse, solitaire, et autres synonymes. Ou simplement comblée avec ce que j’avais, avec mon quotidien, le notre, qui offrait à ma vie sociale exactement ce dont elle avait besoin.

Il passa son bras autour de moi alors que j’éclatais de rire de nouveau, raison des regards à la dérobée qu’on sentait se loger dans notre direction. Le métro, encore manqué. D’abord parce qu’on se rappelait, yeux fermés, esprits ailleurs, voix chantantes le dernier morceau de ce groupe beaucoup trop talentueux qu’on avait découvert à force d’errer de bars de jazz en bars de jazz. Ces accords, cette succession de notes, ces tintements, on s’en serait voulu de les perdre, de ne plus s’en souvenir. De les voir disparaître à travers les mélodies qu’on inventaient parfois, lorsqu’une soirée pluvieuse nous gardait bien emmitouflés à l’appartement pour s’assurer que le plafond ne coule pas trop sur mes toiles, sur ses manuscrits. Ensuite, parce qu’on venait de réaliser que cette soirée marquait nos trois premières années à deux. On s’était souvenu de cette journée d’automne à Portsmouth où j’avais passé la tête, l’envie et mes 150$ dollars de salaire quotidien par la porte de sa voiture prête à partir ailleurs. N’importe où. Avec lui. « J’ai pas oublié, j’te jure! » qu’il riait, la larme à l’œil, le bourbon ayant fait son effet et nos esprits embrumés qui ne se lâchaient plus. On célébrait à tous les jours à la place. On s’aimait, et pour le peu de fois où un calendrier avait passé la porte de notre appartement, c’en était un qu’on ne tournait jamais, qui gardait toujours la même page, les mêmes jours. Justification comme une autre pour dire que j’arrivais en retard à mes cours, qu’on calculait mal nos rendez-vous à travers la ville, qu’on ne mettait pas toute la pression à une seule journée dans l’année pour s'y regarder alors avec des yeux nouveaux. « Je sais. Et puis les dates, c’est tellement limitatif! » Nouvel éclat de rire, nouveau toussotement de la dame à mes côtés.

C’était elle la cause du troisième métro qui fila direct sous mes yeux, sans qu’on dise rien. Elle, et son rictus quasi-dégoûté de nos attouchements si naïfs en public. Quelques doigts enlacés, un baiser sur le front, des yeux brillants. On savait se comporter devant les autres, aussi timides qu'on pouvait être. Mais elle, elle nous détaillait. Ç’aurait pu être à cause de la différence d’âge et ça m’aurait pas surpris. Jack était beau, il avait cette étincelle, ce charme, mais surtout, ces connaissances. Cette expérience. Et moi, je faisais mes premiers pas dans une vie, dans une ville que je ne connaissais pas. Mais l’âge on s’en fichait. Comme le temps. Maintenant qu’on s’était trouvés y’avait rien qui changerait les sentiments qu’on avait l’un pour l’autre. Pourtant, c’était pas ça qui semblait la déranger, ni nos marques d’affection. Elle secouait la tête, elle regardait ailleurs, elle revenait à nous. Puis je le vis, ses doigts, jouant nerveusement avec son alliance. Oh, mince. Elle nous observait, elle avait cet air, elle soupirait… parce qu’elle avait vécu ça elle aussi. Un jour.

Et je me pris de tendresse pour elle. Je lui souris, compatissante, compréhensive, et entendit le quatrième métro s’avancer vers nous. Je faillis encore le manquer celui-là, parce que je me prenais à imaginer de quoi il avait l’air, l’homme qu’elle avait aimé jadis.

Son visage, ses traits la couleur de ses yeux, les rides qui sillonnaient son front. L’homme qu’elle avait aimé autant que moi, j’aimais Jack.

***

Celui qu’on observe, qu’on juge, qu’on aime, qu’on déteste. Celui-là, qui avait inspiré sans le savoir tout ce qui se passait ici, ces œuvres qui m’entouraient, ces toiles qui me narguaient. Ce n’était pas étonnant, c’en était même normal. J’avais partagé beaucoup de temps avec lui, il avait partagé ces moments marquants, il les avait inspirés aussi. Surtout.

Je levai la tête, entendant Maxence me chercher, le retrouvant qui s’avançait à mes côtés, justifiant mon écart d’un « J’avais oublié d’écrire mes remerciements… » qui sonna murmuré, presque secret. Et véridique en même temps. L’anglais ria un brin, passa son bras autour de ma taille, m’attira à lui, me rassura à l’oreille, me fit même danser quelques pas sur une chanson que j’avais déjà oubliée. « T’as qu’à remercier Alfred Hitchduck et ça le fera… » qu’il blagua, amusé, rappelant ce canard qui était venu se glisser le nez dans notre lunch ce midi, que j’avais baptisé à demi-mots puisqu’il était tout noir comme son homologue humain. Ce que je pouvais dire n’importe quoi quand je sentais la crise de panique à deux doigts de se montrer le nez... Sourire, soupir. Qui est-ce que je pouvais remercier, de toute façon? Qui est-ce que je devais remercier, de toute façon? Une femme me brusque dans ma réflexion en gloussant, jeu de pieds avec le serveur qui lui a refilé une coupe de rouge sur son jupon trop pâle, trop fluide, trop tâché. Je me félicite pour le choix de tenue foncée, pour mon verre intact, puis je profite des quelques secondes d’absence d’attention pour tenter d’improviser quelque chose.

Je finissais toujours pour faire le pas qu’il fallait, mais je prenais mon temps. Je me le devais, pour m’être prise au piège à de nombreuses fois, éternelle trouillarde que j’étais. Éternelle trouillarde que je serais toujours. Mon regard croisa le sien, embrumé, irréel, et je le vis avant de perdre tout point de contact. Toute réaction. Tout bruit.

L’inconnu. Mon inconnu. L’inconnu d’une autre, aussi. Surtout. Je baissai les yeux mais déjà, il était trop tard. J’en avais trop vu. Je l’avais trop vu.

Tout ce que je voulais, c'était chercher l'inspiration, courte, d’écrire à même ma tête une idée, une seule, des noms aussi.

Le sien, en moins.

Un visage, hen. Qui s’impose. Et pas seulement lorsque je ferme les yeux, ni lorsque je file un coup d’œil à mes toiles. Un visage à travers les invités, que je suis, que je fuis, que j’appréhende, que je demande.

Le sien, en plus.
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JAWN - crash & burn EmptyMer 3 Déc - 18:08
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Won't you take me, be my love next door. When you run out I can bring some more. Won't you throw down this heart of mine. And I'll roll out, my stretch of time.


C'était compliqué, bien trop compliqué. L'instant présent, les regards croisés, ça avait quelque chose de poétique, quelque chose qui vous prend aux tripes, mais c'était aussi dangereux, menaçant. À double tranchant. Ses iris d'azur qui se choquent à l'émeraude des miennes, qui s'y accrochent, qui s'y perdent, puis les perdent. Il y avait elle, il y avait moi. Mais il n'y avait pas de nous. Il n'y avait plus de nous, non, et cette vérité hurlait de partout. Ici, à Los Angeles, à l'opposé de tout ce qu'on avait jamais connu, de tout ce qu'on avait vécu. De tout ce qu'on aurait du vivre, encore - j'en étais convaincu, et j'en doutais en même temps. L'avoir à portée de regard était une bouffée d'oxygène après une apnée trop longue, un baume sur une plaie ouverte, un poids qu'on ôtait sur un coeur oppressé, mais savoir qu'elle était si loin rendait l'air acide, infectait la meurtrissure et mon coeur, lui, éclatait. Simplement, durement. Il éclatait d'émotion, d'émotions - le pluriel était de mise : bons, terribles, doux et âcres, les ressentis qui m'envahissent me laissent confus, pantois, perdu. Perdu d'elle, perdu de ce nous qui me revient de plein fouet et qui aiguise le tranchant de son absence dans ma vie en même temps qu'il polit les angles du manque que j'éprouvais depuis qu'elle m'avait laissé, seul, plus seul que jamais, à San Francisco.

san francisco, 2013
« Est-ce que tu vas bien ? » Non, rien n'allait. La bruine contre la fenêtre, le café oublié qui avait refroidi entre mes doigts, l'étoffe de mes vêtements collée à ma peau, à ma crasse, à ma chair laissée à vif, à ma chair grisée par une bouteille de trop, de pas assez, à ma chair grise par le chagrin, la haine, la tristesse et la déception, le regret et la mélancolie. J'avais les yeux rivés sur les carreaux souillés, la pluie qui y filait et qui y traçait ses lignes, ses ébauches, ses croquis - ils nous auraient fasciné, elle, surtout. On les aurait observé durant des heures, serrés dans une couverture pourtant bien trop grande. Mes bras autour de son corps, sa tête contre mon épaule, mes doigts sous son chandail, le mien, en fait. Mes doigts sur sa peau, son ventre, ses courbes, ses insécurités d'un jour et ses délicatesses d'une nuit. Son rire dans mon cou, ses baisers le long de ma mâchoire, ma joue, sur mes lèvres. Les siennes goûteraient la pomme et la cannelle, réchauffées par la gorgée de thé prise d'un mug fumant que j'aurais pris la précaution de reposer de moi-même sur la table basse, j'en profiterais, m'en délecterais, imprimerais la fragrance sur le bout de ma langue, sur le fond de mon coeur, et puis on aurait relevé les yeux, on se serrait serré, un peu plus encore, et on aurait laissé couler le temps avec douceur, tendresse. Mais elle n'était pas là. Elle ne le serait plus jamais. La pluie, la même pluie qui s'ébauchait à cet instant contre les carreaux de la vitre, avait effacé ses traces à elle dans cette neige inespérée qui n'avait pas survécu à une aube assombrie par des nuages lourds, noirs, une aube qui nous avait tués, une aube qui m'avait tué, moi. La pluie avait effacé ses traces de la neige au même rythme qu'elle les avait marquées au fer rouge dans ma mémoire, dans mon âme. « Jack ? » Ma rétine écharpée se décolle de la fenêtre dégueulasse et de la pluie assassine, je reviens au timbre affaibli de Julia, au coup de fil que je n'aurais pas voulu décroché mais que je n'avais pas pu ignoré malgré tout cela. Non, ça n'allait pas, mais je ne pouvais pas le dire, je ne pouvais pas le lui dire, lui confier un mal être alors qu'elle, bientôt, n'aurait même plus la force de survivre au sien. « Oui. Excuse-moi. » Un silence s'élève, s'impose, se perd. J'oublie la bruine, j'oublie le tintement d'une machine qui fait choeur à ses mots, je me conforte dans son silence, une seconde, une autre, avant qu'elle ne ravale les questions qu'elle devait avoir, qu'elle avait toujours eues, auxquelles je n'avais jamais répondu, auxquelles, bientôt, je n'aurais plus à répondre. « Tu as eu le temps de réfléchir à ce que je t'ai demandé ? » Non. Bien sûr que non. Je le lui avais promis, mais j'avais trahi ma parole, lancée en l'air, lancée en la regardant dans le blanc des yeux, lancée en regardant à ailleurs. Elle le savait. Elle devait le savoir. Je n'avais jamais été entier avec elle, honnête, correct. Mais elle n'avait pas besoin de l'entendre, surtout pas, pas maintenant, pas comme ça. Alors, je me racle la gorge, distraitement, éclaire une voix enrouée par des jours et des jours de solitude, cuisante, apaisante, angoissante, parcoure les murs sans vie d'un salon qui avait été si beau, les mémoires d'une vie si simple, les vestiges d'un amour foutu, éclaté, brisé, les traces d'un quotidien qui ne ressemblait plus à rien, qui n'avait plus de sens, qui n'avait plus la prétention de me garder, là, flanqué à même le sol à alterner les bons souvenirs avec les rasades de whisky et les mauvais avec des regards morts, éclatés, rougis. « J'arriverai vendredi. » Je ne le voulais pas, je ne le pouvais pas, mais je n'avais plus rien pour me retenir, m'aseptiser, camoufler le tintement, en choeur, des machines qui faisait vivre ce vestige d'un autre passé encore, d'un passé où Dawn n'existait pas, des machines qui faisaient vivre Julia, un peu, encore, des machines qui peinaient Jane, l'inquiétaient, l'abandonnaient. À moi.


« S'il vous plaît, un instant d'attention ! » Je décroche du souvenir, je décroche du passé et reviens à la réalité. Une réalité altérée, compliquée, une réalité que je ne saurais jugé, là, tout de suite. Une réalité où je cherche le regard de Dawn que j'ai perdu sans m'en rendre compte, mais je ne la vois plus, je m'extirpe de la conversation qui s'est tue et où je n'ai rien dit, je balaie l'assistance, guette Baker, la cherche à reculons et la cherche à tout prix d'une même mesure. Mon regard bute sur le visage connu qui vient de prendre la parole - Max. Un sourire se glisse sur mes lèvres, parce que la balance penche vers le bon, parce que New York revient, le bon New York, parce que l'absence de Dawn s'efface et ces jours du passé s'imposent, je regarde l'homme sans vraiment le voir, j'arrête de chercher Dawn parce qu'il la rend réelle, vraiment, un peu plus encore, et c'était suffisant. J'arrête de la chercher et puis que je la cherche à nouveau, vague, confus, envieux. C'était compliqué, oui, bien trop compliqué. Mais je voulais. Je la voulais.  Alors je zigzague, effleure tous ces corps qui sont de trop, laisse planer mon regard, le laisse s'accrocher à une nouvelle toile. Je m'arrête, un instant, décrypte les traits, les taches, les teintes, Max  reprend la parole, je reprends ma recherche, je reprends son regard. Là, plus loin, planté sur moi, à nouveau. Je reprends ses prunelles, je m'y plonge, je m'y perds. « J'aimerais vous présenter l'artiste du soir... Dawn ? Elle a disparue à nouveau ? » Non, elle est là, juste là. Je détourne le regard, parce que je n'en ai plus besoin pour crédibiliser l'instant, parce que je sais qu'elle aurait lâché le mien, de toute manière. Mes prunelles reviennent sur la toile, je souris distraitement, l'observe avec moins de précision, avec plus d'émotion. Dawn, l'artiste du soir. Baker, l'artiste d'une vie, Baker la rouquine, Baker la jolie, Baker l'acide et le baume. Baker, mon coeur explosé, mais mon coeur qui rebat.

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Dawn J. Baker
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Won't you take me, be my love next door. When you run out I can bring some more. Won't you throw down this heart of mine. And I'll roll out, my stretch of time.

J’aurais pu baisser la tête, j’aurais pu éviter, j’aurais pu fuir. Oui, fuir. Ce que je semblais faire de mieux. Lui, l’autre, moi-même. Mais je restais là, immobile, acceptant, assumant. Ses iris qui me détaillaient, les miens qui s’y accrochaient, qui ignoraient volontairement ou pas ce qui était bien, ce qui était mal, ce qui était nous, ce qui était avant, maintenant. J’avais cru en passant la porte que je ne ressentirais plus rien, plus rien qu’un vide, dès que son nom, son image, son visage, nos souvenirs seraient mentionnés. J’aurais cru au moins pouvoir envoler les restes de douleur, de doutes, de regrets, de peine ailleurs, loin de lui, au creux de moi, le temps que ça passe. Que je m’y fasse, que j’oublie. Comme j’aurais voulu oublier. Comme j’aurais voulu nous oublier, l’oublier, lui, tout entier. Le simple fait de me retrouver dans la même pièce que lui alors que j’aurais été plus que bénie si jamais, jamais, jamais cela n’avait eu à se produire, l’effet déchirant, brutal, animal, douloureux, tellement douloureux se chargeait du reste. Il ne me faisait pas autant mal par sa simple présence que je me le faisais moi-même, flagellations de l’imaginaire, douleurs d’avant, de toujours. Et déjà, le souffle court, je n’en pouvais plus. Je n’en pouvais plus de lui, de Jack, de son prénom qui se soufflait encore et encore, qui apparaissait, qui disparaissait trop vite, trop mal. Je n’en pouvais plus de brûler, de m’infliger des regrets, des remords, des questions. D’y penser un peu, souvent, à tord, à travers, injustement. De le nier aussi, tellement, pour plus de facilité, de confort, de négation. Mais il était là, en chair, en os, en sourire, en prunelles, en stature, en ombre. Je le perdis de vue aussi vite que son regard m’avait accroché et je soufflai un peu. Revoyant autour, retrouvant le sens d’un monde qui tournait si bien sans moi, quelques secondes plus tôt. Les silhouettes recommencent à s’entremêler. Les corps se rapprochent, se questionnent, discutent. Maxence cherche mon attention, je le fuie lui aussi, comme moi-même. Je profite d'un regain de mes sens pour me perdre à travers la foule, à travers lui, à travers moi-même. Je me perds entourée de tous, de trop, je fais quelques pas à droite, quelques pas à gauche, je me cache pour ne trouver que cela à faire, pour n’avoir la force que pour une action, toute petite, minime, lâche, mais suffisante. Je profite d’un couloir, d’une statue, d’une toile. Ma toile. Et je me souviens d’où je suis. Je me souviens des raisons, je me souviens du pourquoi, je me souviens du comment. Surtout. Et la Verte qui me nargue, qui m’idolâtre, qui me vend du rêve. Mon rêve. Le nôtre.

***

NEW YORK - 2010

« Jack!!!!!! » J’avais peine à contenir la joie qui perçait à travers ma voix, mon sourire qui grandissait un peu plus de le voir là, bien là, mes yeux de briller, lorsque qu’il m’avais repérée, appuyé contre la rambarde, les mains enserrant deux cafés probablement pris au coffee shop du coin où on avait déjà fait amis ami avec le proprio. Il s’était avancé un peu, intrigué, alors que je dévalais les escaliers de la NYAA, le cœur gros. Trop gros. Derrière moi, la stature de l’école dépassait de loin tous les autres buildings tant par sa hauteur que par son architecture distincte, historique, imposante. Une école impressionnante sous tous les points, tant par tout ce que j’y avais appris depuis les maigres semaines où j’y était inscrite, mais surtout pour ses étudiants passionnés qui lançaient débats engagés par-dessus débats affolés et par ses enseignants, brillants, allumés, différents. « Je l’ai eue! » Sa mine sans indice aucun avait fait place à un sourire radieux, celui que j’aimais tant, celui des bonnes idées, des flashs d’inspiration en pleine nuit, des repas délicieux, du bourbon généreux, du jazz, le vrai, le pur. Quelques pas nous séparaient encore avant que je m’élance, me fichant de tout, du reste, des regards, des cafés, qui s’étalèrent bien évidemment au moment où il lâcha tout pour me soulever, enlaçant fermement ma taille. « Tu rigoles?! » J’hochai négativement la tête, étonnée moi-même du surplus de tout ce qui pouvait me traverser. De l’amour, beaucoup, de la joie, surtout, de la fierté. Quelques rires derrière moi me firent rigoler à mon tour, réalisant l’ampleur de la chose. Moi, Dawn la timide, Dawn l’introvertie, Dawn la secrète, qui se laissait aller dans une démonstration d’amour toute aussi candide qu’inimaginée, inimaginable. « Maxence a dit que l’expo ne serait pas la même sans ma toile! » Il a l’œil vif, la poigne chaleureuse, lorsqu’il me dépose finalement au sol. « Maxence a du goût. » qu’il se contente d’ajouter, blagueur, ravi, sarcastique même, jetant un rapide coup d’œil aux gobelets de cafés qui gisent à nos pieds. Ses mains, ses bras, ses yeux, ses lèvres. Son visage si proche, le mien qui s’extasie un peu plus que je ne l’aurais cru. Le MOMA qui expose l’une de mes idées, l’une de mes aquarelles, Jack qui écrit de nouveaux pour les bonnes raisons, le soleil qui plombe, la brise froide qui rosie mes joues, mon envie de folies, d’aventures, de gloire, aussi mince et éphémère soit-elle. « J’ai envie de faire un atelier à l’appartement! Crois-tu qu’on puisse aménager la petite chambre, ce week-end? » Il rigole, il caresse mes cheveux, il acquiesce. Je sourie de plus belle, je l’aime, lui, ses idées, ses envies, nos projets. J’imagine déjà le désastre que je ferai lorsqu’on se mettra à la tâche, des maladresses que j’accumulerai sous son regard dépité, mais voilà, la peinture, je l’ai retrouvée. Grâce, à lui surtout. « Je t’aime. » que je souffle, alors qu’il se penche un peu plus près de mes lèvres, tangible, douceur, et que ses émeraudes me bercent d'un revers de regard. Émeraude. Vert. Verte.

***

La Verte. Qui me nargue. Qui m’idolâtre, qui me vend du rêve. Mon rêve. Le nôtre. « S'il vous plaît, un instant d'attention ! » Maxence. Malgré sa voix pétillante, et son  « J'aimerais vous présenter l'artiste du soir... Dawn ? Elle a disparu à nouveau ? » je reste immobile. Lui, de nouveau. Nous, sur la toile. Les sourires, les cheveux qui s’emmêlent, la trame de vert, d’émeraude, qui domine tout ce vers quoi j’évite de regarder. Mais ce qui m’attire, encore, toujours, jusqu’à la fin. Je le vois sillonner la galerie, me surprenant à vouloir qu’il reste, mais surtout qu’il parte. Qu’il me fasse vivre ce que j’avais déjà osé. Qu’il me punisse, qu’il me réponde, qu’il m’haïsse, d’une haine si puissante que je n’aurais jamais pu m’en relever, alors que lui, il aurait vécu. Bien, absent, ailleurs, heureux. Sans moi, s’il vous plaît, sans moi. Que j’observe le tout, que j’assume, que j’accepte. Parce que peu importe ce qui se passait à l’instant, peu importe nos regards qui se trouvaient malgré toute la volonté qu'ils avaient de se fuir, pourquoi, pourquoi est-ce que j’étais incapable de… « Dawn, trésor, tes remerciements! » Son sourire. Auquel on m’arrache, le sourire de celui qui ressasse, qui revit, qui reveut, peut-être. Le sourire qui ne me fallait pas, qu’il ne me fallait plus. « Ça n’a pas été facile, mais la voilà… Dawn Baker, l’artiste, mesdames et messieurs! » Tension, pression d’avancer, le micro, même, qu’on me tend, et je suis tentée de passer au peintre, à l'attraction de la soirée, oubliant jusqu’à maintenant que Jack, que nous, qu’il y a autre chose. Une vie, indépendante, qui continue. Comme je l’avais tant voulue, sans assumer les conséquences. « Bonsoir… » que je débute, tout sauf assurée, fuyant, fixant, évitant surtout, sursautant à ma voix qui résonne entre les murs. « Je serai brève, les discours ne sont pas mon fort apparemment. » Rires dans la salle, Max secoue la tête, Jack s’avance un peu, je vois, je ne veux pas, je vois tout de même. « J’aimerais d’abord remercier Maxence et Albane, amis, collègues, qui ont su trouver les bons mots pour… » Je me tais, interdite, la Verte se moquant toujours. À qui est-ce que je mentais, désormais? « Pour… me convaincre. » Maxence fait un pas de plus dans ma direction, enlaçant ses doigts à travers les miens pour me donner un brin de force, de contenance, d’équilibre. « Aidan a aussi été d’une grande aide. » Je tique, je sens la poigne de Max se resserrer, son visage se perdre, se retrouver. Le retrouver. Jack. Ici, impossible, ici, attentif, ici, intouchable. Pour moi. Surtout. « Oui, Aidan. » J’approuve, fuyante, déchue, déçue. Mon ami semble comprendre mon malaise puisqu’il m’attire un peu plus près, ayant repéré ce que moi-même je tentais de laisser aller, d'en décrocher, d'y faire le vide. « Dawn a passé de nombreux mois à travailler ces toiles, à les étudier, à les imaginer. À titre d’ancien enseignant, mais surtout d’admirateur et d'ami, je dois avouer que je suis particulièrement fier d’elle. Une bonne main d’applaudissement donc, pour l'artiste, mais surtout pour toutes ses sources d’inspiration. Les noyaux mêmes qui forment les visages derrière et devant ses œuvres. J'y reconnais Albane, mon associée, et moi-même un peu, aussi. Je me trompe? » Il rit, ils rient, il ne rit pas. « Et Aidan, fiancé, et muse de ce que je comprends… » le clin d’œil suit « … à voir la Verte qui a déjà suscité plusieurs questions et plusieurs offres. Dawn, je te lève mon verre. Que cette soirée soit la tienne! » Et les applaudissements qui fusent, qui me confirment que je ne suis plus seule, que tout est vrai, devant témoins.

J’aurais voulu dire quelque chose. J'aurais voulu l'immobiliser dans son geste ou pire, le taire à travers ses paroles. J’aurais voulu nier, tout en bloc, la Verte, surtout, son histoire, la nôtre, pas celle d’Aidan, surtout pas. Mais il est tard, trop tard déjà. Il est brisé, peut-être autant que je le suis, incapable de faire autrement.
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JAWN - crash & burn EmptyJeu 19 Fév - 23:59
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Won't you take me, be my love next door. When you run out I can bring some more. Won't you throw down this heart of mine. And I'll roll out, my stretch of time.


J’aurais pu partir, j’aurais pu reposer mon verre, me souvenir de ma gamine qui m’attendait, oublier les mondains, les badauds, les cons, les bavards et les instruits, j’aurais pu oublier les mots de Maxence, un souvenir du passé, moins douloureux que je l’aurais pensé puis trois fois plus, j’aurais pu oublier les syllabes de ce prénom jamais entendu, du moins, pas comme ça, pas maintenant. J’aurais pu partir, oui, ça aurait été bien plus simple. Mais rien n’était simple, jamais. L’amour, l’art, aiguiser les discours, capter l’attention de tout un public, mettre un visage sur un putain de prénom qu’on ne connaît pas. Oui, j’aurais pu redresser les épaules, la libérer du poids de mes prunelles, ajuster mon blouson et quitter les lieux sans attendre, les fuir, m’enfoncer dans la nuit, dans la rue, ne pas jeter un coup d’oeil derrière moi et disparaître, simplement. Elle l’avait bien fait, elle. Ca ne devait pas être si sorcier. Tout effacer, comme ça, un matin, sans un mot, sans un signal, sans un Attention, je m’apprête à vous bousiller, toi et ton coeur à la con. Elle l’avait bien fait, elle, nonchalante  et discrète, comme ça, sans prévenir, sans prévoir ? Ou alors, si, peut-être qu’elle l’avait prévu, depuis longtemps, depuis que je l’avais étouffée avec notre baraque, notre vie, notre renouveau, peut-être qu’elle l’attendait depuis cette dispute entre deux rames de train, depuis que les mots s’étaient échappés, un peu vite, avaient creusés des écorchures, que pourtant je croyais pansées à coup de baisers, de pardons, de projets. Ouais, partir, elle l’avait fait, elle, et que le départ ait été prévu ou non, j’aurais du pouvoir faire de même, là, tout de suite. C’était moi, le sage des deux, le chiant, c’était moi qui me souciais trop d’elle, de ses blessures, ses maladresses, ses coups de blues et ses coups de joie, c’était moi qui bousillais sa jeunesse parce que j’étais trop vieux, c’était moi qu’on regardait de travers quand j’effleurais son dos, sa main, sa joue, ses lèvres, c’était moi l’enfoiré qui devait sûrement avoir une femme au foyer et trois gosses quelque part dans le New Jersey, alors, ouais, ouais, j’aurais du pouvoir partir, là, comme ça, quand Maxence alignait Aidan, fiancé et muse en un fraction de seconde, le temps que je fige, le temps que je glace, au lieu de m’y accrocher comme un con ou plutôt, au lieu de les laisser résonner dans ma tête, trop forts, trop durs. Comme ses mots, à elle, des mois et des mois plus tôt, l’avaient fait. Et recommençaient.


san francisco, 2013

« Pas maintenant, pas comme ça. »

Je voulais pas pourtant le monde. Je la voulais elle. Si, je voulais le monde, mon monde, parce que c’était elle. Je le voulais, entier et parfait, et c’était pas un excès. C’était pas trop demander. Non, pas après six ans, pas après New York, pas après toutes ces nuits à parler de tout, de rien, pas après ses toiles, mes textes, pas après Portsmouth, pas après toutes ces nuits à s’enflammer, se parcourir, s’aimer, pas après les coups durs, les baisers, les disputes, les réconforts, les peurs, les rêves. Je demandais rien, putain. Juste elle. Mais, alors que je pensais que j’avais déjà tout, je me retrouvais sans rien. Juste un non. Murmuré du bout des lèvres, les mêmes lèvres que j’avais senti encore et encore sur mon corps, ma peau. Elle m’appartenait. J’étais à elle. Je me foutais royalement des formalités, d’un consentement mutuel calligraphié dans un registre, rien à foutre d’avoir un anneau à mon doigt, d’en mettre un sur le sien, de partager un nom ou un autre ou aucun, de cocher une autre case sous l’état civil et payer moins d’impôts sur des thunes qu’on n’avait de toute façon pas, rien à foutre de s’annoncer mariés ou amants ou juste amoureux, rien à foutre que les autres le sachent. Tout ce que je voulais, c’était qu’elle, elle le sache, que jamais elle ne l’oublie, que jamais ça ne merde comme ça venait de merder pour moi, pour Julia, il y a semaine, il y a des années. Dawn était tout, absolument tout, mais non. Non. Non, pas maintenant, pas comme ça. Quand ? Comment ? Ca faisait six ans. Six ans d’émotions, de sentiments, six ans de vies et de vie. Je demandais pas grand chose. Juste elle. Solide, inébranlable, acquise, peu importe la merde profonde dans laquelle un coup de fil me foutait, présente, aimante. Et elle s’y refusait. Horrible. Injuste.




Quand ?
Une poignée de mois plus tard, une bribe de temps, une miette, rien qu’une miette, ridicule et dérisoire.

Comment ?
Avec un autre.


Aidan, fiancé et muse. Evidemment. J'étais con, terriblement con. Incroyablement con. Fallait pas chercher plus loin que de raison. Dawn et moi, on avait tout partagé, parce qu’on se ressemblait. Beaucoup. Trop. Julia, j’étais parti, sans un mot, et puis j’étais tombé sur Dawn. Dawn, elle était partie, sans un mot, et puis elle était tombée sur Aidan. Alors ce que j'avais pu ressentir pour elle, ses mèches ardentes, sa silhouette gracile, ses mouvements tantôt dangereux tantôt gracieux, ses iris qui se posaient sur moi et partaient à mille lieux d'un même temps, ses idées folles, les belles, les tristes, les vraies, les utopies, ses mots rares mais épais, nombreux mais légers, là, au fond de mon coeur, de mes tripes, de mon âme, forcément, forcément, c'était Aidan qui le provoquait en elle. Je ne le connaissais pas, du moins, je l'espérais, mais je n'avais pas besoin de ça pour le deviner. Il avait eu ce que je voulais, il aurait ce que plus jamais je ne pourrai avoir.

Les mains libérées de la coupe qui s’est écrasée sur le sol, trop adroitement pour faire croire à une maladresse, une faiblesse, un accident, j'ignore les quelques regards qui se posent sur moi, happés par l'appel strident du verre contre le parquet qui a su couvrir les applaudissements, amers, stupides, étouffants. J'aurais pu les rejoindre, les épaissir, faire semblant et faire bonne figure, mais j'aurais pu aussi ne jamais prendre cette ruelle, croiser l'affiche, épeler son nom, j'aurais pu ne pas la voir disparaître dans les premières lueurs d'une journée qui n'avait rien de belle, j'aurais pu ne pas la voir apparaître entre un comptoir et une machine à café, j'aurais pu ne jamais la rencontrer, elle, la meilleure comme la pire des choses qui puissent vous arriver, vous tomber dessus, vous empoisonner, vous cisailler. Oui, j'aurais pu applaudir, moi aussi, mais si le raffut des paumes qui s'entrechoquent m'énerve, en même temps, je ne l'entends même plus. Je l'oublie, je l'ignore, mes yeux sont partis plus loin que le serveur qui s'accroupit et ramasse les débris de mon verre, ils effleurent à nouveau les toiles mais ça n'a plus rien d'une caresse, d'une découverte, c'est un poignard qui les transperce et les meurtrit. C'était pas de l'art. C'était juste une rupture, dégueulasse, jamais digérée par l'une et déjà oubliée par l'autre.

Je ne sais comment mes doigts se sont retrouvés sur le chassis de la première toile, celle sur laquelle les regards se posaient en premier lieu lorsque l'on entrait dans la salle, mais la prise s'est avérée déterminée, assurée. Il y avait quelque chose de marrant, si l'on prenait un peu de recul, juste un peu - l'oeuvre qui m'avait semblé si forte, si lourde, une poignée de minutes plutôt, n'était plus qu'un morceau de toile, étiré sur un cadre de bois, recouvert d'une couche de peinture, d'une autre, mais rien qu'un morceau de toile. Du lin, tressé finement, fragile, léger, mais rien que du lin, et plus rien d'autre. Peu importe son sens, l'alliance des couleurs qui le recouvraient, les traces de pinceau, les traces de Dawn, ce n'était plus rien d'important. Alors, quand j'ai appuyé un peu plus fort dessus et que j'ai senti la surface craquer sous mes doigts, ça ne m'a rien fait. Absolument rien. Comme une enveloppe qu'on déchire, un emballage qu'on froisse, un brouillon qu'on lance dans une corbeille à l'autre bout de la pièce. Ca ne représentait rien. C'était insignifiant. Comme moi. Je ne pouvais pas passer à côté de la comparaison, évidemment. Et, ça aussi, c'était marrant. C'était rageant. C'était injuste, c'était une trahison, une vérité, une réalité, une blessure ouverte, infectée, affectée.

Max l'avait dit, tout sourire, dans ces toiles, il y avait un peu d'Albane, un peu de lui, un peu de Dawn. Un peu d'Aidan. C'est ce qui m'entraîne vers la suivante, sur la paroi d'en face, une haie d'honneur formée par les âmes décontenancées qui se sont écartées d'un même pas au premier éclat du châssis de bois sur le sol. Parce que si je ne ressentais rien de particulier, au final, à foutre en l'air le travail de Dawn, pas de satisfaction, pas de remord, l'idée de la symbolique, l'idée de les blesser elle et les autres qui sont si présents dans sa vie, elle, était attrayante. D'une manière malsaine, certes, mais je n'étais plus à ça près, ni même en mesure de m'en rendre compte, simplement. J'ai tout juste un vague éclair de rationalité quand, alors que les miennes se sont posées sur la seconde oeuvre, je sens un main agrippé mon bras et que je vrille un regard embrasé sur la seule figure qui n'a pas eu le sage réflexe de s'échapper d'un périmètre de sécurité appréciable. Un sourire fend mes lèvres tandis que le blond tente je ne sais quoi, je souligne l'action par un haussement de sourcil et puis, je l'avorte. Ca aurait été parfait dans le cliché du drôle de détruire cette peinture-ci en l'écrasant sur sa tête, mais le comique n'avait jamais été mon genre de prédilection, et puis, faut bien l'admettre, mon poing sur sa gueule, c'est bien plus efficace. Le ton guilleret - le ton cassé, je couvre les exclamations qui s'élèvent autour de nous, faisant suite au silence parfait qui avait plombé la salle juste avant. « Oh, tu t'étais deviné sur celle-là, Max ? » Mes iris décrochent du pauvre mec, souvenir brouillé d'un passé qui n'est plus, et alors qu'il porte ses mains à son nez plus si délicat que ça, elles se posent sur l'autre toile vers laquelle je me suis déplacé, distrait, furieux, absent. « Et sur celle-ci, on peut deviner un peu de qui ? L'artiste veut commenter ? » En espérant qu'elle la connaisse par coeur, parce que bientôt, les traits et lignes se déchirent et s'éparpillent au sol, à leur tour.

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Dawn J. Baker
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Emploi : peintre, co-propriétaire du MOCA
love out loud : Won't you help me be on my way? So I can set me free.

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Won't you take me, be my love next door. When you run out I can bring some more. Won't you throw down this heart of mine. And I'll roll out, my stretch of time.

Ce sont les dimanches qui me manquent le plus. Les nôtres.

Me lever tôt, allumer la radio dans notre cuisine jaune dégoulinante de soleil. La Première Chaîne, les week-ends, c’est la tradition.

Boire un latte soya préparé par l’homme de la maison. Inviter les amis à la maison, manger les légumes et les fines herbes du potager, et des fruits. Un autre latte soya. Un mimosa aussi, peut-être, quand on célèbre les minutes, les heures, l’amour, la peinture, les livres, ou juste nous.

Puis sortir marcher le long de l’océan. Prendre San Francisco par tous ses coins. Les brocantes, la librairie de livres usagés qui ont encore plus d’histoire que vous et moi mélangés, les marchés, une limonade maison au café du coin. Faire les courses à l’épicerie asiatique.

Revenir à la maison, mettre mes vieux sweat pants, m’assoir sur le canapé alors que l’homme s’installe à la machine à écrire. L’écouter composer une nouvelle phrase, imaginer de nouvelles vies, des histoires d’ailleurs, un monde qui l’est tout autant, ou simplement rêvasser, le regard perdu bien loin. Rire parce qu’il se parle à lui-même, répliquer parfois, garder le silence le reste du temps.

Oui, chez nous, les dimanches se faisaient parenthèses où le temps s’arrête, où il fait lumière.

Chez nous, les dimanches étaient jaunes.

Mais ici, les dimanches sont capharnaüm. Les dimanches sont cris, sont larmes, sont peines. Les dimanche me font mal, me bloquent, m’étirent, me déchirent. Les dimanches sont synonymes de malentendus, de douleurs viscérales, de regards à la dérobée, de poignards au cœur. Les dimanches, il pleut de la peine d’un peu partout, des ruelles jusqu’à mon nouvel atelier, du MOCA jusqu’à Jack, qui s’avance, qui bouille, qui est de glace, qui s’élance, qui détruit. Qui détruit tout ce que j’ai salit, ce que j’ai rêvé, ce que je n’ai plus. Ce qu’il faut détruire, ce que je suis trop lâche pour avoir brûlé, pour avoir arracher, pour avoir nier. Et à chacun de ses pas, le silence devient de plus en plus pesant, l’écho de ses chaussures sur le sol ciré ne me revient plus, le souffle saccadé de Maxence qui le suit des yeux s’y perd et ma propre respiration elle, se dissipe là où je ne pense même plus chercher. Je suis isolée du reste, du bruit, quel qu’il soit, venant d’ici ou du plus profond de mon âme, comme si la douleur venait d’atteindre un niveau impossible à surmonter, comme si la honte, les regrets, les remords pouvaient tuer une femme à main nue, comme si, justement, je me retrouvais complètement dépouillée de tout vêtement, tremblante, frigorifiée devant les horreurs que j’avais commises. J’en oublie ses mouvements secs, durs, violents, j’en oublie le choc de la première toile à ses pieds, j’en oublie ma vie, la sienne, la nôtre, les bribes, les souvenirs, les couleurs, les sensations, les autres, alors que la Blanche devient poussière, éclats, fissures. Alors que tout va trop lentement, que tout va trop vite, qu’il n’hésite pas à continuer alors que je le fixe, cherchant son regard, le fuyant tout autant, interdite, coupée dans tous les sens. Je sais très bien ce qu’il veut faire, j’y assiste en bonne spectatrice, mais encore je me garde la surprise de le suivre, de me raccrocher à chacune des images qui me viennent à l’esprit, de nous, avant, de nous, maintenant, pendant qu’il vole déjà vers sa prochaine victime, de jaune vêtue. Je suis impassible, impossible, compréhensive et désespérée, assumant ses gestes, les excusant un peu plus fort, retenant mon cœur de battre pour encore quelques secondes, espérant que cela endolorira un peu mieux mes symptômes, mes conséquences, mes actes.

Il évolue dans la galerie comme s’il l’avait maitrisée, attendant cet instant depuis les dernières secondes ou les derniers mois, et je me fonds de plus en plus dans le mur, voulant m’y coller, voulant y trouver un support, quelque chose de solide, de rassurant, de stable, d’ailleurs. Maxence choisit ce moment pour entrer dans mon champ de vision trop sélectif, pour passer mes œillères, et il est déjà trop tard pour que je réplique quelque chose, le suppliant de ne pas s’en mêler, de laisser choses se faire, d’accepter comme je le faisais, avec tous les cris qui restaient pris en travers de ma gorge par volonté. Il avance avec force dans sa direction et se voit propulsé vers l’arrière, accompagné d’un craquement qui ne se rend même pas jusqu’à moi. Portant la main à son visage, il titube, il ose faire un pas en avant, avant d’en multiplier à l’arrière, il regrette mais ne bouge plus alors que j’anticipe déjà la suite, alors que ma peau se fait blanche, fuyarde, alors que mon corps se maudit lui-même, alors que Jack m’adresse la parole. Si tout était resté sous silence, j’aurais pu gérer. Si tout était passé comme dans du coton, j’aurais pu fuir, dans ma tête, dans un autre monde, dans mes erreurs, aussi nombreuses et douloureuses soient-elles. Mais il me crache son venin au visage, il me confirme sa colère, il me confirme sa violence, il me confirme sa peine, il me confirme sa présence. Et je ne trouve rien à dire. Rien, absolument rien d’autre qu’une plainte, douce, silencieuse, visuelle, d’en finir avec sa rage. De détruire tout ce qu’il veut, pour lui comme pour moi. De ne pas m’en faire le cadeau, de m’ignorer, de m’haïr, de ruiner tout ce qui lui rappelle nous, de me balayer au passage. Je ne trouve rien à dire parce qu’il ne mérite pas mes plaintes, il ne mérite pas mes mots, il ne mérite pas mes doutes, ma peur, mon horrible peur. Non. Il mérite que je m’efface, que je le laisse passer à travers sa rage, que je le laisse faire ce qui devait arriver, qu’il gagne, qu’il gagne et que moi je perde. Par forfait. Par justice.

Les autres suivront, alors. Alors que sa silhouette se détache en temps et en physique de la mienne, alors que je n’existe plus, ou du moins, que je suis en train de cesser d’exister. Alors que la Violette, puis la Rouge, puis la Bleue y passent, sous la panique, sous les bourdonnements, sous tout et n’importe quoi. J’en oublie que nous ne sommes pas seuls et notre intimité, étalée sur le plancher, m’empêche de suivre la foule, sa peur, ses remontrances. Je n’y vois rien d’autres que des doigts, des coups, des éclats, du tissu, de la souffrance, de l’amertume, tapissée sur mon monde, sur un monde que je déteste de tout mon être, que je déteste pour l’avoir créé et pour l’avoir jeté à ma façon, à ma putain de façon. Il finit par se faire attraper au vol, aussi. Par un gardien de sécurité qui sort de sa léthargie, par un homme qui a failli à garder la paix, le calme dans une galerie qui a trop souvent vu l’artiste se faire triturer sans jamais assister à un tel chaos. Le gardien décide que cela suffit et je détourne le regard, me faisant violence pour m’empêcher de m’imposer, de refuser qu’on le stoppe dans son élan, de le défendre, de lui offrir mon calvaire, mon salut sur un plateau d’argent. Mais son dernier geste m’immobilise tout en me brûlant les entrailles. Son dernier geste justifie tout le reste, et l’ampute, et l’annule, et le jette à terre.

« Non! Pas celle-là! » que ma voix hurle, espère, implore. Les larmes coulent maintenant sur mes joues alors que mon sang se gèle de trop bouillir. Tout s’immobilise, tout se ralenti. Puis tout revient à la normale.
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JAWN - crash & burn EmptyDim 14 Juin - 22:35
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Won't you take me, be my love next door. When you run out I can bring some more. Won't you throw down this heart of mine. And I'll roll out, my stretch of time.

J’aurais pu continuer, si elle n’avait pas laissé sa voix s’élever dans la galerie.

J’aurais pu continuer, oui, dans la destruction, l’idiotie, la vengeance mal pensée et l’égoïsme qu’on ne saurait plus à qui attribuer. Ca me faisait du bien autant que ça me faisait du mal, ça me semblait être la seule option viable, je ne pensais plus à m’effacer, à filer de là sur-le-champs comme c’était encore le cas il y a une poignée de minutes. Non, je resterais là, les pieds tantôt plantés au sol comme si mon corps se faisait statue et tantôt à zigzaguer, à gauche, à droite, au fil des oeuvres qu’il restait à briser et les badauds à éviter, contourner ou bousculer, c’est au choix. Un rush d’adrénaline, une lame de jalousie, une gifle de réalisme. Ouais, c’était ça, une baffe, évidente, éloquente, une baffe qui me remettait à ma place, celle du gars largué sans un mot et tant à la fois, celle du gars qui appartenait au passé, aux souvenirs. Des souvenirs qui s’estompent, qu’on ressasse toujours moins, qu’on balaie dans un coin pour s’en créer de nouveaux, des plus beaux, des plus forts, des plus importants. Qu’est-ce que c’était, après tout, quelques années dans une vie ? Une expérience, un passage,  un cap. Elle l’avait franchi.

Je ne l’avais même encore abordé.

Et c’est exactement là que la baffe prenait son point de départ, son sens, sa force. Toiles, fiançailles, tours d’applaudissements, compliments bien placés, bien léchés. Si j’avais suivi le trottoir sans faire attention à la devanture de la galerie, si j’étais passé par une autre rue, si je n’étais jamais sorti du motel, je n’aurais pas assisté à celà. Je n’en aurais jamais rien su. Parce que je n’étais que le comédien d’un acte terminé, un de ces visages qu’on finit par ranger parmi tant d’autres, un nom qui sonne familier mais qui, au fond, ne veut plus rien dire. Je n’en aurais rien su, et je serais resté dans mon monde. Le mien, le secret, celui qui se dit qu’elle va revenir, qu’elle est quelque part, qu’elle se morfond tout autant, qu’elle ne réussit pas mieux que moi à se passer de nous. Mon monde secret, qui filtre au grand jour dans des verres trop remplis, dans des pages gribouillées, arrachées, froissés, dans des regards qui ne sont que cécité. Mon monde secret, mon monde à la con. Qui s’écroule comme ça, facilement, trop, quand le réel prend le dessus, regagne ses droits, s’écrase contre mes dents. Elle avait franchi le cap. Elle était heureuse. C’est toujours ce que l’on se souhaite lors d’une rupture, c’est rarement ce que l’on pense véritablement. Elle était heureuse, brillante, rayonnante. Elle était dans la réalité. Je croupissais dans l’imaginaire.

L’imaginaire s’écroulait, mon sang froid suivait.

« Non! Pas celle-là! » Sa voix s’élève dans la galerie, attire les regards, voile le mien. Des larmes strillent ses joues, sa stature reprend toute la fragilité que je lui connaissais, qui ne l’avait sûrement jamais quittée mais que je refusais de voir. Elle s’adresse à moi, directement, pas à une assemblée de férus d’art, d’admirateurs, d’amateurs. Elle s’adresse à moi. Quel moi ? Celui de son passé, celui qu’elle a laissé derrière elle avec toute une vie à deux comme seul mot d’adieu, ou celui de son présent, celui qui agrippe l’une de ses toiles, celui qui en a détruit déjà bien assez ? Je ne sais pas. Je ne veux pas savoir. Je m’immobilise, défait, vidé, largué. La réalité, toujours elle, évente mon esprit, dissipe la colère, un peu. Juste ce qu’il faut pour que je me rende compte de ce que je suis en train de faire, de mes gestes, de Maxence qui grimace  en s’éloignant, des visages livides, mauvais, sévères qui valdinguent de Dawn à moi. Je prends conscience de ma respiration, elle brûle, elle s’accroche à ma gorge, elle peine à se réguler, je prends conscience de mes doigts qui serrent trop fort un châssis, une hargne, une injustice pas si injuste, au fond. Je prends conscience de la toile, ses teintes jaunes, soleil, tournesol. Je n'y ressens rien, je n'y vois rien. Mais j'y reconnais les coups de pinceaux, distincts mais invisibles, mesurés mais instinctifs.

Je la revois, Dawn, sa vieille chemise difforme retroussée sur ses avant-bras, un pinceau coincé entre ses lèvres, un autre qui tourne et qui tourne et qui tourne entre ses doigts, peu importe qu’une pluie de gouttelettes rouge vif s’éparpillent partout ailleurs que sur sa toile. Sa toile blanche, sa toile vierge, sa toile qu’elle fixe, qu’elle imagine, elle apprivoise, qu’elle contemple pendant que moi je la contemple, elle. Son lambeau de tissu comme seconde peau, ses jambes qui vacillent sur une mélodie qu’elle est parfois la seule à entendre, ses idées qui tardent, ses idées qui la coupe du monde, ses idées qui fusent, ses idées qui prennent vie sous ses doigts. Sous mes yeux, parfois pas assez aux aguets, pas assez intéressés. Mais ça, on ne s’en rend compte que lorsque l’on rentre dans l’atelier, plus tard, trop tard, quand la peinture rouge vif sur le parquet a séché depuis longtemps, et qu’il n’y a plus personne à contempler.

Elle y mettait tout son coeur. Peu importe qu’il ne m’appartienne plus, peu importe qu’il appartienne à un autre. C’était bas, méchant, violent. Je m’en prenais à ses toiles et je m’en prenais à elle, mais ce n’était pas ce que je devais faire, et je le savais, en colère ou non, amer, plein de rancune, je n’avais pas le droit de faire ça, de lui faire ça, de lui en vouloir à elle. Oui, elle était partie. Mais c’était moi qui n’avais pas su lui donner l’envie de rester.

Je prends conscience de mon acte, de sa bêtise, de son incohérence. En contrepartie, je perds toute notion de ce qui m’entoure. Et quand je la retrouve, quelques secondes plus tard, combien ? - je ne suis déjà plus dans la salle mais dans le couloir, une main qui serre avec trop de force et pas assez chacun de mes bras. Je cligne des yeux, estompe le visage de l’artiste malmenée qui semble s’être gravé sur mes rétines, cherche celui de l’agent de sécurité qui, enfin, a réagi. J'ai envie de le remercier mais je me débats plutôt, j'aimerais profiter de la bouffée d'air frais qui s'insinue dans mes bronches et m'apaise quand on passe le pas de la porte mais je la gaspille plutôt à l'insulter, le menacer, le repousser. Pas de logique, pas de sens. Jusqu'au premier de ses coups, quand il semble revenir sur sa décision après avoir esquissé un pas vers l'arrière. Parce que la douleur qui vient irradier le long de ma mâchoire, immédiatement, a quelque chose de bon. Pas d'agréable, mais de bon. De mérité. De désiré. Je l'aguiche à encaisser sa droite sans broncher, je provoque, presque fier, son gauche et puis, trop fier, je perds l'équilibre. Le goût de la colère qui laisse sa place à celui du sang sur mes lèvres, je ne cherche plus, acide, cru, féroce,  à vider mes nerfs sur le type, à le pousser à bout. Il n'a plus besoin de moi pour ça, de toute manière - je finis par terre, sans lutter, ses coups pleuvent, s'emballent, se justifient.

Le monde réel, hein. J'y retombe, à toute vitesse.
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Dawn J. Baker
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JAWN - crash & burn EmptyVen 18 Sep - 4:16
crash & burn

Won't you take me, be my love next door. When you run out I can bring some more. Won't you throw down this heart of mine. And I'll roll out, my stretch of time.

Mon cœur, mon cœur, mon cœur. Je l’avais dans les tripes, je l’avais dans le ventre, je l’avais dans la tête, je l’avais partout et nul part, je l’avais ici, et là, et toujours et jamais. Je l’avais et je le perdais, je perdais l’air, je perdais tout, je le perdais lui plus que je ne me perdais moi. Je l’aimais, comme je l’aimais. Je l’aimais dans ses cris, dans ses pleurs, dans ses regards, noirs, si sombres, je l’aimais dans ses gestes désabusés, enragés, violents, absents. Je l’aimais dans ses silences comme dans ses retours, acerbes, acides, atrophiés. Atrophiée. J’étais ici, et ailleurs, prise entre mes souvenirs, entre les nôtres, entre son visage que je retrouvais, digne d’un cauchemar, d’un rêve qui ne m’appartenait plus, qui appartenait à d’autres, mais plus à nous, plus jamais, j’en avais décidé ainsi. Je voulais être complète, je voulais être seule, je voulais être stoïque, et pourtant, le simple contact, ses rétines ici et maintenant, sa présence aussi affutée soit-elle me tournait, me retournait, me faisait douter de moi et de tout, de moi, surtout. Il était tout pour moi comme je n’étais plus rien, comme ses yeux, son regard, son avis, son opinion, sa sagesse prenait tout son sens, comme ma personne, mes idées, mes aspirations se dissipaient, fausses, sous ses impulsions, sous sa destruction. C’était lui, bien lui, celui que j’avais laissé derrière, celui qui était jadis mon tout, celui à qui je ne donnais plus rien, plus rien du tout. Ma voix, manquante, avait fait le reste, avait suffit à l’immobiliser, à le sortir, à nous sortir de cette transe, ce vide, cette absence. Ça ne nous ressemblait pas et c’était illogique, ça ne nous ressemblait pas et pourtant nous étions les acteurs, les deux acteurs maudits, en scelle, en scène, au beau milieu de tout ce monde, au beau milieu des regards incertains, des murmures, des interrogations, des soubresauts. Il était doux, il était tendre, il était un homme de passion, un homme d’amour, un homme et tout ce que ça comportait de bon sens, de pureté, de paix. Mais il n’était plus, il était brisé, cassé par mes soins, par mon égoïsme, par mes propres idéations lointaines, sortilèges du passé qui l’avaient sabotés tout autant qu’ils m’avaient démolie. Qu’il m’avait démolie. Je titube, je respire, mal, trop mal, et je perds la notion de ce qui compte vraiment, de ce qui se passe sous mes yeux, pour l’arrêter dans son geste, pour oublier ce moment empli de souvenirs, pour me concentrer sur notre présent, sur nos erreurs, les miennes, autant en emporte mes convictions.

Et son silence me ronge, son silence me tue, son silence me hante. Oui, il cesse tout. Oui, il se recule. Oui, il abdique. Ce fixe, ces yeux, si tendres, d’avant, je les connais par cœur et ils me fuient, ils m’évitent, ils me renient. Et je les cherche, je les cherche tellement, honte à moi de les vouloir, de les attendre, de les désirer comme jamais, comme avant, comme toujours. Il disparait aussi vite qu’il est arrivé et j’en perds les distances, j’en perds la suite. Un instant sa silhouette avale tout, gobe tout ce qui me reste, pour finir par se dissiper, par se diluer à travers une nostalgie qui gronde depuis longtemps, si longtemps. Il n’est plus, il n’a peut-être jamais été même, et je m’égare, et je m’enfuis, et je me fuis, alerte, à la recherche, à sa recherche. Mes prunelles scrutent la galerie d’un bout à l’autre, scrutent les silhouettes, scrutent tout et rien, et même Maxence qui se relève des coups, qui se relève de ce chaos, ce capharnaüm pour lequel je me tiens entièrement responsable. Mais il n’est plus ici, il est disparu, il m’a laissée, il a tout laissé. Je n’en peux plus, j’étouffe, ma gorge se serre, le souvenir me remonte à la tête et les mains, tremblent, elles tremblent sous la pression sous la tension, sous sa présence, sous son absence. Elles tremblent et elles s’agitent et elles me guident loin, loin, loin d’eux et de lui, de lui, à l’autre bout du globe, absent en présence, présent en paroles, mon regard le croise même, à travers les fleurs qui se fanent d’un mal à l’amour sur mon bureau. Aidan. Je suis désolée, je… j’ai glissé, j’ai glissé, je suis tombée et j’ignore si je m’en relèverai un jour que mon cœur bat la chamade, que ma tête s’emplit pour mieux se vider, alors que je pousse de l’épaule la porte de la galerie, que je me laisse guider par les soupirs, par les chocs, les coups, par lui, encore et toujours. Jack.

« Jack! » son nom m’arrache, me brûle, me pique, me salve, et je ne compte plus les pas qui me séparent de lui, au sol, le visage appuyé sur le bitume, la carcasse détraquée, abandonnée. « Oh, Jack… » je me penche, je me retrouve à sa hauteur, je laisse mes doigts divaguer, s’approcher pour mieux disparaître, mais toujours, toujours finir leur course dans sa direction. Il bouge peu, il exhale mal, il halète alors que, enfin, je prends conscience qu’il est ici, vraiment, qu’il existe, toujours. Mon index, fin, dilué, se prête au jeu et caresse sa joue, chaude, si chaude, humide des coups, des larmes peut-être. Je retiens, je retiens tout ce qui me reste et je me noie aussi, tellement, dans ces pleurs qui n’en finissent plus de revenir. Il est muet, il est docile, il est étendu, sans grande réaction, et mon cœur se brise plus qu’il n’est déjà brisé. « Je te ramène à la maison. » L’instinct, plus fort que tout, cet instinct qui me guette, qui halète, me retrouve au détour alors que je me reprends, interdite, à caresser cette peau que je connais par cœur, cet homme qui n’était qu’un souvenir, qu’un remord, et qui maintenant est à mes pieds, ensanglanté, démoli, abaissé. La maison, et ma voix se serre devant tant de mensonge, devant tant de secrets. Notre maison, la mienne, mais surtout la sienne, et tout sauf la nôtre. La toile qu’il a épargnée me revient à l’esprit et je préfère détourner le regard, hêlant un taxi comme New York nous l’avait si bien appris, l’aidant à se relever alors que, sans un mot, il me suit vers une ironie qui me crève de tous les pores possible. Il s’installe, il se laisse couler sur le siège, alors que je donne l’adresse à demi-mot, alors que je prends place à ses côtés, alors que sa tête retrouve mon épaule comme si elle y avait toujours existé. Ses cheveux caressent ma nuque, ma joue, mon cœur, et je me retiens, comme j’aurais voulu me retenir. Mais déjà, il est trop tard. Déjà, la vague de souvenirs, de nostalgie d’avant, de maintenant me rattrape, et je retrouve son visage, ce visage, de près, si près. Éternellement prêt.

Le baiser aurait pu être doux, gage d’adieu. Mais il a été si longtemps attendu, si longtemps maitrisé, si longtemps retenu qu’il explose en millions d’artifices. Superficiel, superficiel mais tant salvateur, superficiel et demandé, superficiel et criant, et craint. Ses lèvres embrasent les miennes alors qu’il ignore la suite, et que je l’espère. Mes mains se calent contre ses épaules, le rapprochant, près, plus près, niant le reste, le regard du chauffeur à travers le rétroviseur qui, volage, se cache de deux amoureux transis, qui, encore une fois, ont commis l’erreur de s’aimer. Trop. Mal.
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